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que les serviteurs des ministres. On m’excusera de rappeler ces détails lointains ; ils marquent l’évolution qui peu à peu s’était produite dans l’opinion de la chambre des députés, si longtemps défiante et hostile. Lorsque la loi organique de 1845 fut enfin votée, l’on put croire que le conseil était sorti décidément du provisoire où il languissait depuis trente et un ans ; un état de choses durable, sinon définitif, commençait. Illusion d’un jour ! De nouveau le sol trembla, et le régime parlementaire s’effondra tout à coup, entraînant dans sa chute l’établissement fragile qu’il avait si lentement et si péniblement édifié.


V

La révolution de février, qui remit en question tant de choses, respecta cependant le principe de la justice administrative et l’institution du conseil d’Etat. Et non-seulement le législateur républicain ne voulut pas répudier ce double héritage du passé monarchique ; mais il eut pour pensée maîtresse, en organisant le conseil sur des bases très nouvelles, d’augmenter ses attributions, d’agrandir son prestige, et de le destiner à remplir entre les deux suprêmes pouvoirs, l’assemblée nationale et le président, une mission politique des plus hautes. Le fait est que la constitution de 1848 et la loi du 3 mars 1849 allaient créer un quatrième type, d’une conception curieuse, logique et originale, car le conseil d’État de la seconde république différait très profondément de tout ce qui l’a précédé ou suivi.

Il en différait d’abord par le mode de recrutement de ses membres. Nouveauté caractéristique : les conseillers d’État n’étaient plus nommés par le gouvernement ; ils étaient élus pour six ans par l’assemblée nationale, et eux-mêmes élisaient leurs présidens de section. A la vérité, le personnel de la maîtrise et celui de l’auditorat étaient laissés à la nomination du garde des sceaux ; mais cette dérogation au principe de l’élection était plus apparente que réelle, car les maîtres des requêtes ne pouvaient être choisis que sur une liste dressée par le bureau des présidens et, pour la première fois, les auditeurs se recrutaient au concours. Pour la première fois aussi le service extraordinaire était supprimé : on excluait les représentans de l’administration. Réciproquement les fonctions du conseil étaient incompatibles avec les autres « emplois salariés. » Tout, en un mot, semblait concerté pour soustraire l’institution à l’autorité du gouvernement. Elle cessait d’être le classique auxiliaire du pouvoir exécutif, qu’elle avait été durant tant de siècles ; elle émanait de l’assemblée, qui, du reste,