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saisit « cette occasion pour dire que, sans aucune difficulté, ce droit de saisir le temporel des ecclésiastiques qui s’écartent de leur devoir existe encore dans les mains du ministre des cultes. » La chambre donna de telles marques d’adhésion à la théorie développée par le procureur-général à la cour de cassation que M. de Montalivet jugea l’heure favorable pour demander à la chambre des députés un bill d’indemnité ; sa déclaration très courte doit être intégralement rapportée : « On vous a parlé, messieurs, du droit qu’aurait le gouvernement de suspendre les traitemens ecclésiastiques sous sa responsabilité. Je dois quelques explications à cet égard. J’ai besoin, ayant dans certains cas retenu de semblables traitemens sous ma responsabilité, d’avoir un bill d’indemnité de la chambre.

« Certes, le gouvernement est loin de vouloir abuser de ce droit, qui, je le répète, n’a été exercé que sous ma responsabilité personnelle ; mais depuis que j’ai l’honneur d’être chargé du ministère des cultes, j’en ai usé trois fois[1]. »

Voilà un chiffre précis : trois suspensions, en onze mois, du ministère le plus difficile, à l’heure où les esprits étaient le plus excités.

Peu de semaines plus tard, après la mort du président du conseil, M. de Montalivet allait à l’intérieur, cédant les cultes à M. Girod (de l’Ain), que remplaçait bientôt M. Barthe. Aux difficultés provenant d’une hostilité sourde succédait la guerre civile. Les départemens de l’ouest s’agitaient : la duchesse de Berry venait de débarquer en Provence, et le mot d’ordre d’une nouvelle chouannerie était colporté dans le Bocage. Des bandes parcouraient le pays. Plus d’un presbytère accueillait les réfractaires : on trouva des dépôts d’armes chez des curés ; des poursuites furent prescrites, des arrestations faites ; le traitement des inculpés fut suspendu. Le ministre des cultes était en présence de la guerre civile, il n’hésita pas à engager sa responsabilité. Les préfets le surent

  1. Séance du 15 février 1832. (Moniteur, p. 465, col. 3.) — Les trois cas qui motivaient le bill d’indemnité du 15 février 1832 s’appliquaient à trois prêtres poursuivis en justice. Le curé de Comblessac (Ille-et-Vilaine) avait refusé les sacremens aux conseillers municipaux, parce qu’ils avaient prêté serment au roi et engagé les conscrits à ne pas rejoindre l’armée destinée à renverser la religion. Procès-verbal avait été dressé des propos tenus. Mécontent de ne pas voir poursuivre le curé, le maire se permit de retenir le mandat de traitement ; le curé vint se plaindre et dans l’altercation se livra à des violences graves sur la personne du maire. Arrêté, il subit une détention préventive et fut condamné. Élargi après quelques mois d’emprisonnement, il vint réclamer ses mandats arriérés. Le ministre maintint la retenue pour toute la durée de l’absence. Le second cas fut celui du desservant de Saint-Germain-de-Pinel, traduit devant les tribunaux pour avoir reçu des réfractaires. Pendant l’instruction, le traitement est suspendu. Le desservant ayant été acquitté, les mandats furent restitués. La troisième retenue eut lieu également à l’occasion d’une poursuite, sur laquelle nous n’avons pas de détails.