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raines se sont bien passées, et à travers tout, quels que soient les incidens, il y a une sorte de moralité intime qui se dégage de ce nouveau voyage, comme de presque tous les voyages de M. le président de la république. Si peu qu’on observe les choses dans leur vérité, sans se laisser duper par les apparences, par les commentaires frivoles ou intéressés, on voit se reproduire sans cesse le même phénomène, une sorte de contradiction perpétuelle entre la politique usuelle de tous les jours et ce qu’on pourrait appeler la politique des grands jours, la politique du grand air. Qu’est-ce à dire ? Comment se fait-il que le langage ne soit plus le même à Paris, dans un bureau de journal ou dans un couloir de la chambre, et dans les provinces, face à face avec la masse nationale ? Voilà un problème au moins curieux.

Tant qu’on est à Paris, on fait de la politique de parti et de secte, on se crée un petit monde factice, échauffé et violent, où l’on ne vit que d’abus de domination, de préjugés, de passions de coterie, de divisions et d’exclusions. On n’est occupé qu’à tendre des pièges au gouvernement, à l’intimider ou à le dominer par des interpellations et des ordres du jour captieux, à l’entraîner aux mesures acerbes contre les évêques, aux spoliations subreptices de malheureuses communautés, aux laïcisations à outrance. Ce qu’on redoute le plus, c’est l’apaisement par une libérale et intelligente modération. Dès qu’on est au loin, à l’air libre, tout change d’aspect ; ce n’est plus la même atmosphère, ce n’est plus surtout le même langage. On ne parle plus que de l’union de tous les Français, — de « l’union sous la loi de la république, » cela va sans dire, — mais d’une union sincère et franche où puissent se confondre toutes les forces nationales. M. le président de la république se fait un devoir d’accueillir avec des paroles de cordialité M. l’évêque de Verdun allant lui dire : « Si vous voulez nous aimer un peu, nous témoigner un peu de confiance, protéger nos libertés nécessaires, vous verrez que nous sommes capables de vous aimer beaucoup et de consacrer tout ce que nous avons d’influence, d’intelligence, à la prospérité, à la grandeur de la France. » Le président du consistoire réformé dit à son tour : « Vous représentez à nos yeux la France libérale, tolérante, généreuse, à jamais guérie, nous l’espérons, du fanatisme religieux ou irréligieux. » M. le président du consistoire israélite invoque devant M. Carnot les « traditions de libéralisme et de tolérance. » Le préfet lui-même, en présentant les maires au chef de l’État, a pu ajouter : — « S’il en est quelques-uns parmi eux qui hésitent encore à oublier leurs regrets ou leurs souvenirs, ceux-là ont, à la frontière, oublié tout dissentiment. Ils ont tous tenu à se rallier aujourd’hui à notre drapeau dont l’honneur est confié à votre garde,.. » c’est-à-dire que toutes les paroles que M. le président de la république a pu entendre ou prononcer dans son voyage sont la contradiction de tout ce que font ou disent les républicains de parlement et de parti qui en