Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 111.djvu/391

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de la science sociale, une résistance purement physique devant laquelle ce dernier devait nécessairement succomber ; c’était la guerre d’une nombreuse plèbe contre une poignée de patriciens. Aujourd’hui, ce n’est plus à la tyrannie de l’aristocratie de race que le peuple en veut, mais à une ploutocratie dont la création est due à l’expansion extraordinaire de l’industrie moderne. Or, cette ploutocratie est en grande partie, surtout dans les pays anglo-américains, sortie des rangs du peuple ; et c’est peut-être cela qui rend toute réforme si difficile, car celui qui entrevoit la chance de devenir maître lui-même à son tour hésite à détrôner celui dont il envie le succès, de peur de détruire par là même ses espérances intimes. La révolution de 1789 fut en partie une révolution agraire, c’est le paysan qui souffrait alors le plus, qui en a le plus profité, la transformation sociale universelle qui se prépare, et dont les signes ne sont que trop évidens et trop sensibles, devra se faire pour le bénéfice des classes ouvrières qui souffrent le plus aujourd’hui. Dans les colonies australasiennes du reste, et, en général, dans tous les pays nouvellement colonisés, la question agraire n’a pas encore eu le temps de se développer : il n’y a pas de paysans, et le propriétaire qui emploie une main-d’œuvre quelconque, fût-il fermier lui-même, est un patron de même que tout autre industriel.

Une lutte intelligente entre le capitaliste et l’ouvrier pour une répartition plus égale et plus équitable du résultat de leur travail et de leurs risques respectifs, au lieu d’une lutte brutale entre le vilain et l’aristocrate, telle est la forme que prend la révolte sociale à la fin du XIXe siècle. La démocratie australienne a conçu cette lutte d’une manière essentiellement pratique ; elle ne perd pas son temps à philosopher et ne prétend point avoir de théories nouvelles à promulguer. Placée dans des conditions toutes spéciales, l’émancipation politique de cette classe dans presque toutes les colonies est depuis quelques années parfaite ; non-seulement elle a fait reconnaître son droit à une part dans les conseils de la nation, mais elle y a obtenu la première place, et c’est elle en réalité qui tient les rênes du pouvoir. Les membres des assemblées parlementaires australiennes sont bien les représentans du peuple dans l’acception la plus vraie du terme ; d’aucuns prétendent qu’ils ne le sont que trop. Le temps des luttes du forum est donc passé, la démocratie y a conquis tous ses droits ; il ne lui reste plus qu’à songer à ses devoirs. Le conflit engagé sur le terrain politique passe sur le terrain économique, et c’est là qu’il lui faut maintenant préparer des réformes. Elle entre sur cette nouvelle scène avec d’uniques avantages, car elle n’a plus à se préoccuper du passé ; sa parfaite émancipation la place à l’avant-garde du mouvement universel actuel.