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famille, avec leurs femmes et leurs enfans, à de certains endroits qui sont indiqués d’avance. Ils y trouveront des membres du collège des quindécimvirs, qui leur donneront les objets nécessaires à la purification. Ce sont des torches, du soufre, du bitume ; chacun les emporte chez soi, et doit se purifier lui-même, les siens, et sa maison, par le feu et la fumée. Immédiatement après (les 29, 30 et 31 mai), les mêmes citoyens se présentent devant ces mêmes quindécimvirs, et, en échange de ce qu’ils ont reçu d’eux, ils leur apportent les prémices des fruits de la terre, qui en ce moment commencent à mûrir, du blé, de l’orge, des fèves. Ces dons sont mis en réserve pour être plus tard distribués comme récompense à ceux qui contribuent aux jeux publics. Ce n’est pas, on le pense bien, le seul salaire qu’ils recevront. Nous savons que le sénat avait affecté une somme importante aux dépenses des jeux séculaires, et quand on aura vu avec quelle magnificence ils furent célébrés, on comprendra qu’ils aient dû coûter très cher à l’État.

Les fêtes commencent avec le mois de juin, ou, pour préciser davantage, la nuit qui précède le premier du mois. Elles doivent durer sans interruption pendant trois nuits et trois jours de suite. Dès le début, nous sommes frappés de voir que les cérémonies de la nuit et celles du jour n’ont pas tout à fait le même caractère. C’est une occasion pour nous d’admirer encore une fois l’habileté d’Auguste, et l’art avec lequel il appuie ses innovations sur de vieux usages, pour leur donner plus d’autorité. Il voulait modifier profondément les anciens jeux de la république, et cependant il lui fallait en garder assez pour qu’on les reconnût. Sans cela la transition était rompue, et ce qu’on voulait faire n’aurait pas pu profiter de ce qu’on avait fait jusque-là. C’est dans les cérémonies de la nuit qu’on s’appliqua surtout à rester fidèle aux traditions du passé. On établit d’abord qu’elles s’accompliraient sur le terrain consacré par les fêtes antiques. Le lieu est bien connu : il est situé en face du Janicule, à l’endroit où le Tibre forme un coude en s’éloignant du Vatican pour se diriger vers la mer. Ce quartier est aujourd’hui l’un des plus populeux de Rome, et les maisons s’y pressent autour de la chiesa nuova. Alors c’était un grand espace vide, au milieu duquel s’élevait l’autel de Dis pater, soigneusement enfermé dans trois enceintes de murailles[1]. Sur cet autel vénérable, à la place même où la légende mettait l’origine des jeux séculaires, les sacrifices de la nuit vont s’accomplir comme autrefois. Ils

  1. C’est M. Lanciani, l’homme du monde qui connaît le mieux la topographie de l’ancienne Rome, qui a retrouvé le véritable emplacement et les débris du vieil autel. On peut voir, à ce sujet, le travail si curieux qu’il a publié sur les Guides des pèlerins au VIIIe siècle, et qui est inséré dans le tome Ier des Monumenti antichi.