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temps ; il y en a de plus longues les unes que les autres. Aussi les Étrusques avaient-ils des siècles de 105, de 119 et même de 123 ans. La difficulté consistait pour eux à déterminer d’une manière exacte quand le dernier homme d’une génération s’éteint et le moment où commence une génération nouvelle ; aussi ne se flattaient-ils pas d’y arriver sans la protection divine ; ils croyaient que les dieux prenaient la peine d’annoncer par des prodiges particuliers le renouvellement de chaque siècle et se fiaient à leurs aruspices pour les en avertir. Les Romains, qui avaient l’esprit plus précis, s’accommodaient mal de ces incertitudes. Pour les éviter, ils donnèrent au siècle une limite fixe et décidèrent qu’il durait cent ans.

Sur la date des différens jeux séculaires pendant l’époque républicaine, il y a de grandes obscurités. Cependant, on s’accordait généralement à croire que c’était en 605 que les derniers avaient eu lieu ; en sorte qu’on aurait dû recommencer cent ans plus tard, en 705. Mais, par un hasard malheureux, à ce moment même la guerre éclata entre César et Pompée, et, pendant vingt longues années, jusqu’à la bataille d’Actium, le sort du monde fut incertain et la paix sans cesse troublée. Ce n’était guère le temps de songer à des fêtes publiques. Il est pourtant remarquable qu’à chaque éclaircie, on essayait de se rassurer. On croyait les misères finies, parce qu’elles s’étaient arrêtées un moment ; on se remettait à espérer dans le lendemain ; il semblait qu’une ère de calme, de sécurité, de bonheur, allait luire enfin sur le monde. On faisait je ne sais quels calculs pour prouver que la génération maudite, celle des guerres civiles et des proscriptions, avait fini d’exister, et qu’un siècle nouveau et meilleur allait naître. Il n’est pas étonnant que Virgile, le doux Virgile, qui plus que les autres avait soif de repos et de paix, ait cédé à l’illusion commune. Lorsqu’en 714 il vit son ami, son protecteur, Pollion devenir consul, il lui sembla que l’âge d’or recommençait et il crut pouvoir le chanter par avance :

Magnus ab integro sœclorum nascitur ordo !

On comprend qu’il soit venu à l’esprit d’Auguste de faire tourner cette attente inquiète, ces désirs impatiens, au profit de son autorité. Il était très occupé des moindres mouvemens de l’opinion publique et fort habile à s’en servir. Il lui sembla, sans doute, que la célébration solennelle des jeux séculaires, après tant de révolutions, devait marquer le début d’un régime nouveau et donner une sorte de consécration religieuse à l’empire. Mais la chose n’allait pas sans difficultés ; pour établir qu’il avait le droit de les