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d’elle-même : ils ont essayé, par leur exemple, de soustraire le génie national à l’influence séculaire de ses voisins. Mais c’est peut-être pour le roman (et pour le théâtre) qu’ils y ont le moins réussi. Tour à tour Walter Scott, Eugène Sue, Alexandre Dumas, Dickens, George Sand, — Balzac beaucoup moins, — ont donné le ton au roman allemand. On a vu tout à l’heure à quel point il subit, aujourd’hui même, l’ascendant du réalisme étranger.

L’influence la plus durable revient peut-être aux romans de Walter Scott. Il n’est pas jusqu’à leurs défauts, la longueur interminable des conversations, la surabondance du détail pittoresque, le développement lent et majestueux des caractères, qui n’aient dû trouver grâce aux yeux du lecteur allemand. Les longs ouvrages ne lui font pas peur, pourvu que son imagination y trouve une matière où se prendre. Aussi le roman issu de Walter Scott, tout en traversant des périodes alternantes de vogue et de défaveur, ne risque-t-il jamais d’être tout à fait délaissé : témoin le succès encore durable d’Ekkehard (1855). Il profite ainsi de sa parenté avec l’histoire, pour laquelle l’Allemagne de notre siècle a montré un goût si vit et si constant. L’histoire, en effet, telle que l’ont comprise les maîtres de l’école allemande contemporaine, les Niebuhr et les Ranke, exige le concours de deux facultés en apparence ennemies : la patience infatigable de l’érudit qui rassemble et critique les documens, — et l’imagination qui, avec ces documens, reconstruit et fait revivre le passé. Il n’est pas rare de rencontrer ces qualités unies dans l’esprit allemand, qui sait user de sa liberté tout en s’astreignant à une méthode. Mais il n’en va pas tout à fait du roman comme de l’histoire, où l’imagination est soutenue par la matière des faits et contenue par la méthode scientifique. Dans le roman, il lui faut créer son cadre et presque son objet. Des qualités toutes nouvelles d’invention et d’adresse deviennent alors nécessaires. Si tant d’imaginations allemandes ont choisi l’érudition et la philologie pour s’y donner carrière, c’est peut-être qu’elles y trouvaient à la fois la discipline et la mesure de liberté dont elles avaient besoin. Une édition critique de Virgile, une hypothèse sur l’auteur de l’Iliade a été leur roman.

M. Mielke avoue de bonne grâce que le roman, en Allemagne, a fort souvent cherché ses modèles en France ou en Angleterre : mais il n’en est pas de même, dit-il, de la « nouvelle. » Car la nouvelle serait, selon lui, un genre nettement distinct du roman, ayant sa forme et ses lois propres, et qui aurait évolué séparément. C’est une théorie qui a cours dans la critique allemande. Nous ne voulons pas entrer ici dans une discussion abstraite sur l’essence du roman et de la nouvelle : aussi bien n’est-ce pas nécessaire. Un coup d’œil jeté sur l’histoire littéraire nous aidera peut-être mieux à