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UN SÉJOUR À ATHÈNES.

collent comme des jerseys. Les jeunes sous-lieutenans, nouvellement sortis de l’école des Évelpides, font sonner leurs sabres et portent fièrement leurs képis galonnés d’or. Les vieux colonels à moustaches grises sont moins allègres et s’affaissent un peu, sous les galons passés de leurs képis avachis. Sur le boulevard de l’Académie, au-dessus duquel le Lycabète avive, dans l’air lucide, avec une netteté d’aquarelle, le relief de ses arêtes et l’éclat de ses couleurs, des domestiques, des ordonnances, promènent des chevaux qui s’ébrouent et se cabrent avec un bruit de gourmettes. Des bonnes, des institutrices conduisent des bandes d’enfans. Les voitures d’arrosage soulèvent la poussière, sous prétexte de l’abattre, et croisent les petits tramways, dont les banquettes se sont peuplées d’hommes et de femmes, qu’on voit passer de profil, dans le flottement des rideaux de toile grise. Les grands landaus qui servent de voitures de place passent, au trot allongé de leurs chevaux maigres. Les cochers, pour écarter les maladroits qui ne se rangent pas assez vite, crient, de toute la force de leurs poumons : Ἐμϐρός ! Ἐμϐρός ! (En avant ! En avant !) Rue d’Hermès, les magasins s’ouvrent ; les vitrines étalent les élégances parisiennes de l’an passé ; les boutiquiers, en bras de chemise, les yeux alourdis par la longue sieste sur le comptoir, respirent au seuil de leurs portes.

Devant les blancheurs criardes du palais, autour des wagons du tramway de Phalère, il y a un rassemblement. Ce sont les « baigneurs » de Phalère, qui s’apprêtent à partir. Beaucoup de femmes en toilettes claires. Quelques beaux visages, d’un teint mat, illuminés par de grands yeux noirs, se détachent en vigueur sur des ombrelles rouges… Sous les tissus légers et clairs, on sent le riche contour des formes ; les plis des robes tombent légèrement sur la cambrure des pieds, laissant voir le bout des bas bien tirés, au-dessus des fines chaussures. Tout ce monde porte des sacs, ou de simples courroies, enserrant des serviettes-éponges destinées au bain. De petits camelots, hérissés et éveillés, courent, de côté et d’autre, offrant aux beaux messieurs et aux belles dames, des liasses de journaux, des pistaches, des raisins. De toutes parts, on entend leurs voix grêles : Παλιγγενεσία ! … ἄρμυρα φιστίϰια… δροσερά σταφύλια…

Place de la Constitution, des gens attablés boivent des cafés, des glaces, des limonades. Les garçons, hélés à droite et à gauche, vont de table en table, sans grand empressement, affairés et légèrement ironiques. Des orchestres en plein vent jouent des valses allemandes ou des opérettes françaises. Et toujours la voix grêle des petits marchands de journaux : Παλιγγενεσία ! Παλιγγενεσία !

À mesure que la nuit approche, une gaîté se répand sur la ville. La douceur du couchant fait ouvrir les persiennes. Des gens