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prisonnier demeure impassible. Visiblement, il est à bout de forces. Il reçoit la visite de cette logeuse dont la déposition en cour d’assises lui avait été favorable, puis celle d’un camarade de la fédération maritime, derniers témoignages de l’intérêt qu’on lui porte en souvenir d’un passé déjà bien lointain. Eux partis, c’est le dernier lien avec l’extérieur qui s’est rompu. Il n’approchera plus que de deux créatures humaines dont l’une est le prêtre, l’autre le bourreau.

19 août. — Conway, catholique, entend la messe, se confesse et communie. L’aumônier ne le quitte pas de la journée. Il semble que ce dernier ait plus d’une confidence à recueillir, car l’entretien se prolonge jusqu’à la nuit. Vers le soir, Berry descend de voiture à la grande porte ; l’exécuteur des hautes œuvres couchera à la prison. Le haut shérif annonce qu’il a autorisé trois reporters à pénétrer jusqu’à l’échafaud.

20 août. — Sept heures du matin. Le condamné est debout, dans un état d’anxiété extrême. Il n’a pas dormi, croyant sans cesse le moment venu, se redressant sur son lit, comme en sursaut. A huit heures moins un quart, après avoir repoussé la nourriture qu’on lui offre, il sort de sa cellule, les membres libres, entouré d’une escorte de gardiens. La cloche de la chapelle sonne le glas, le prêtre en surplis marche en tête, récitant les prières des morts. Bien qu’on soit en août, il fait presque sombre, le ciel est gris, la pluie tombe. Le cortège s’engage dans un corridor à l’extrémité duquel se détache la silhouette d’un homme robuste qui attend, les bras croisés. Halte ! c’est le bourreau. — « Bonjour, que Dieu vous garde ! » murmure Conway, et inconscient de ses actes, le geste affectueux, l’intonation caressante, il prend la main de Berry, la secoue, comme s’il cherchait à gagner les bonnes grâces du redoutable personnage. Celui-ci, indifférent, l’air pressé, passe derrière l’homme qu’on lui abandonne, lie, sans serrer, bras et jambes, et on repart. Trois marches à descendre, une cour étroite à franchir ; puis, devant le groupe, le seuil largement ouvert d’une pièce carrée que traverse une poutre énorme, supportée par deux poteaux d’égale grosseur. La chambre est nue, et parce qu’il n’y a rien aux angles et sur les murailles crépies, rien sur le sol qu’une trappe à niveau dont les volets sont fermés, l’appareil semble gigantesque, dans l’isolement farouche où il se dresse. Instinctivement, les regards de Conway se dirigent vers la chaîne aux maillons solides qui, descendant de la charpente transversale, soutient une corde déjà reliée au dernier anneau. Tout est prêt, Berry est aux côtés du patient dont l’émotion est intense. Dans un coin, trois journalistes, puis, au pied de la potence, le gouverneur et le