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année 1891 qui a vu ces événemens. C’est le beau côté, c’est le progrès rassurant dans une des parties les plus essentielles de la politique française. On s’en est réjoui ; on a ressenti quelque fierté des succès de nos marins, des paroles impériales qui ont constaté l’intime intelligence de deux grandes nations comme la Russie et la France, de cette révélation de notre armée nouvelle aux dernières manœuvres. Malheureusement, cette année près de disparaître a vu bien d’autres choses qui prouvent qu’on oublie vite, qu’il y a toujours des passions, des intérêts prêts à compromettre ce qu’on a obtenu par une libérale prévoyance, par l’union nationale de toutes les volontés. C’est ici l’autre côté de notre politique, c’est la contradiction qui se glisse dans nos affaires. On tient, cela n’est pas douteux, à la dignité et à l’honneur du pays, à tout ce qui peut relever ou étendre son influence dans le monde ; mais, si l’on nous permet cette expression vulgaire, le diable n’y perd rien. On veut tout cela, — à la condition de n’en faire ni plus ni moins, de saluer en passant les événemens les plus heureux sans se préoccuper d’en assurer les effets utiles et durables.

Qu’est-ce, en réalité, que ce système commercial qu’on discute depuis six mois, qui est allé de la chambre au sénat, pour revenir aujourd’hui aggravé au Palais-Bourbon, — et à la suite duquel le gouvernement se voit réduit à demander le droit de négocier une prorogation partielle et provisoire des derniers traités de commerce qui restent ? C’est certainement une des entreprises les plus extraordinaires qui aient été tentées depuis longtemps. On veut protéger l’agriculture, on veut protéger l’industrie ; tous les intérêts s’agitent, se coalisent, et c’est à qui réclamera les tarifs les plus élevés, les plus rigoureux. Fort bien, les protectionnistes à outrance qui poursuivent leur œuvre avec une âpreté singulière sont tout près de réussir. Seulement on ne veut pas voir qu’avec cette protection universelle on va au-devant de toutes les représailles ; on compromet nos exportations, nos relations politiques elles-mêmes, et on inflige à la France le désaveu des idées libérales qu’elle n’a cessé de représenter jusqu’ici. Un des premiers, un des plus dangereux résultats de ce système, on le voit déjà, il était bien facile à prévoir : pendant que nous nous efforçons de nous séparer du monde en nous barricadant dans des tarifs prétendus immuables, il se forme autour de nous et à nos portes une alliance qui réunit déjà l’Allemagne, l’Autriche, l’Italie, qui tend à envelopper la Belgique, la Suisse, les pays Scandinaves et peut-être l’Espagne elle-même. Ce système des traités de commerce que nous renions aujourd’hui, on le reprend pour s’en servir contre nous. Ce n’est pas, si l’on veut, que ces nouveaux alliés trouvent des avantages bien sensibles dans leurs traités, que les tarifs qu’ils s’accordent mutuellement soient plus favorables, plus libéraux que les tarifs français. Au fond,