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Goethe, revenaient au monde, que penseraient-ils de l’article et de la méthode de M. Grimm ? Qu’en dirait Guillaume de Humboldt qui tenait « pour malfaisant et funeste un enseignement public dont la tendance est de sacrifier l’homme au citoyen ? »

La vieille Allemagne a encore ses représentans, ses plaignans et ses remontrans. « Un prétendu patriotisme, écrivait M. Paul de Lagarde, voudrait se servir des écoles comme de couveuses artificielles pour faire éclore ses œufs. Solon n’avait point fait de loi contre le parricide parce qu’il n’admettait pas que ce crime fût possible. Chercher à exciter le patriotisme, c’est admettre qu’il est possible de n’être pas patriote. Mais si le patriotisme devait consister à approuver certains principes de partis et certaines vues historiques, qu’on le sache bien, c’est un acte de violence que d’imposer à des enfans des croyances et des principes que leurs parens tiennent peut-être pour des erreurs. » — « C’est une idée très répandue et on peut presque dire dominante aujourd’hui, lit-on dans une intéressante brochure de M. Cauer, que l’histoire des temps les plus modernes doit être enseignée dans les gymnases à la seule fin de donner à la jeunesse une notion juste et correcte de la situation présente de l’Allemagne et de la Prusse. Parmi les plus chauds partisans de cette idée, on compte des hommes sérieux et sincères, qui ne savent pas quelles fatales puissances ils sont sur le point de déchaîner. L’étude de la politique contemporaine appartient à l’université, où chacun pourra décider par lui-même quel professeur il lui convient d’entendre ou d’éviter. Dans un temps où les symptômes du byzantinisme deviennent de jour en jour plus alarmans, l’autorité qui dirige l’instruction publique devrait se pénétrer du sentiment que toute tentative pour imposer des convictions n’aboutit qu’à transformer les rusés et les ambitieux en hypocrites et à provoquer les résistances acariâtres des hommes de cœur. Ce genre d’entreprise ne réussit guère qu’auprès des esprits faibles, et ce succès passager a peu de valeur[1]. »

Les uns pensent que l’enseignement public est destiné à former des êtres pensans ; les autres croient, comme M. Grimm, qu’il doit servir avant tout à donner à la jeunesse tous les préjugés utiles, que son principal office est de fabriquer des machines perfectionnées et d’irréprochables automates. Lequel de ces deux systèmes l’emportera ? M. Grimm a raison, l’avenir de l’Allemagne en dépend.


G. VALBERT.

  1. Staat und Erziehung, schulpolitische Bedenken, von Dr Paul Cauer, Gymnasial-Oberlebrer. Kiel und Leipzig, 1890.