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rôle qu’il avait eu dans le ministère Cavour, passait au contraire pour pencher vers les doctrines libérales anglaises, mais qui, en réalité, n’a jamais été bien éloigné des théories du socialisme d’État, ainsi qu’on peut déjà le remarquer dans les écrits de sa jeunesse, et même dans son œuvre capitale : Sur les rapports de l’économie politique et de la morale.

Minghetti était au pouvoir quand se dessina un mouvement en faveur du rachat et de l’exploitation des chemins de fer par l’État. Il s’y montra résolument favorable, soit sous l’influence de ses anciennes idées combinées avec les idées allemandes qui gagnaient chaque jour du terrain en Italie, soit dans le dessein de devancer son adversaire Sella, en lui enlevant une arme qui aurait pu servir à abattre le ministère. Un seul homme, parmi les députés les plus en renom de la droite, demeura fidèle en cette occasion aux doctrines libérales : ce fut M. Ubaldino Peruzzi, qui, lui aussi, avait fait partie du cabinet Cavour.

Les événemens du 16 mai 1876 sont trop connus pour les rappeler ici. On sait que le ministère Minghetti tomba en apparence sur une question secondaire relative à l’application de l’impôt sur la mouture, en réalité sur la question du rachat des chemins de fer, et que la gauche arriva au pouvoir.

Maintenant qu’on voit ces événemens à distance, l’on s’aperçoit aisément que ce ne furent là que des causes occasionnelles de la chute de la droite : la cause essentielle était que ce parti avait accompli sa mission. L’unité de l’Italie constituée, la capitale établie à Rome, les rapports de l’Église et de l’État réglés par la loi des garanties, l’équilibre du budget obtenu, sinon d’une façon stable, au moins provisoirement, son programme était terminé, et le fruit étant mur, le moindre choc devait le faire tomber. La droite aurait encore pu se donner un but pour prolonger son existence, si elle était demeurée fidèle aux traditions libérales du comte de Cavour, et si elle s’était posée en face de la gauche comme le défenseur des libertés économiques. L’Italie se serait alors trouvée dans des conditions assez favorables au bon fonctionnement du régime parlementaire, avec deux grands partis politiques : l’un, imbu des idées jacobines et poussant à l’application du socialisme d’État, l’autre, défendant les droits de l’individu contre les envahissemens du pouvoir de l’État, et les libertés économiques contre le socialisme. Mais du moment que la droite désertait ces principes, elle perdait sa raison d’être, elle devait se fondre avec la gauche, ou, si elle s’obstinait à demeurer isolée, ce n’était plus un parti politique, mais seulement une réunion d’hommes qu’associaient une ambition commune et des intérêts matériels. Et cela est si vrai