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Au temps où M. de Hartmann publiait ses ouvrages, l’inconscient était à la mode : on voulait le voir partout, et on faisait de la conscience une sorte de feu follet promenant çà et là sa lueur accidentelle dans le grand cimetière de l’inconscience. Nous avons alors, ici même, réagi pour notre part : nous avons soutenu que la prétendue inconscience était, ou un affaiblissement de la conscience, ou un déplacement de la conscience, passant d’une partie de l’organisme à l’autre, ou enfin un dédoublement de la conscience, qui changeait ainsi de forme et de support, mais sans pouvoir disparaître. Par conscience, entendez un état mental quelconque : sensation sourde, sourd besoin, aise ou malaise, etc. Les recherches récentes de la psychologie confirment cette doctrine, chassent de plus en plus l’inconscience absolue du domaine de la vie. La psychologie contemporaine retrouve des états « psychiques, » et même parfois de vraies consciences systématisées, des moi plus ou moins rudimentaires, là où récemment on se figurait qu’il n’y avait plus que des mouvemens de machine brute. Après avoir imaginé des sensations inconscientes, des plaisirs et douleurs inconsciens (ô merveille!) des perceptions inconscientes, des raisonnemens inconsciens (et, disait-on, d’autant plus infaillibles), on découvre que tout cela était le masque d’une vraie sensibilité, qui peut bien être inconsciente pour nous, comme Pierre est inconscient pour Paul, mais qui n’est pas plus inconsciente en elle-même que Pierre et Paul ne le sont chacun en soi. Parce que le moi ne distingue pas clairement un état mental, on ne peut plus en conclure aujourd’hui que cet état n’existe point et qu’il ne soit pas toujours un état de conscience, c’est-à-dire de sensibilité et d’appétit. En outre, quand l’état mental n’existerait vraiment plus pour notre sensibilité, à nous, on comprend qu’il puisse encore être senti par quelque autre que nous, par quelque partie de notre organisme différente de ce cerveau qui est le vrai siège du moi raisonnant.

Rien ne se perd dans la nature, tout se métamorphose. C’est le grand principe qui régit la physique contemporaine ; nous croyons qu’il ne tardera pas à régir aussi la psychologie. On découvrira, que la conscience prend une foule de formes et de directions, comme le mouvement revêt une foule de figures dans l’espace : elle est tantôt sensation de lumière, tantôt sensation de chaleur, tantôt faim ou soif, tantôt volonté. Intense en tel point de l’organisme, elle est plus faible en tel autre; affaiblie ici, elle se renforce là; centralisée aujourd’hui, elle peut se dédoubler demain. Elle est ondoyante comme le mouvement même, qui n’est probablement que le dessin extérieur de ses propres ondes. La création et l’annihilation du mental sont aussi inconcevables que la création