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de l’empereur ; il paraît comme un homme qui vient de recevoir un coup de massue ou qui vient de faire sur la tête une grande chute. Il est étourdi, étonné, affaissé; cela durera jusqu’à ce qu’il ait touché la terre de France ; alors il retrouvera, comme Antée, la force, la lucidité, l’activité, tout le génie de sa jeunesse; aux immortelles campagnes d’Italie il donnera comme pendant ses succès foudroyans, mais, hélas ! remportés vainement, en Champagne. De ce que j’ose avancer je vais donner quelques preuves.

Le dernier jour de la bataille, le 19 octobre, le matin même de la retraite, Macdonald, acculé au boulevard de Leipzig, reçoit tout à coup l’ordre d’envoyer, sur sa droite, au secours du maréchal Augereau ; à peine a-t-il assez de monde pour tenir tête à l’ennemi qui le presse ; néanmoins il détache une brigade de la division hessoise ; au bout d’une demi-heure la brigade revient ; là où on l’envoyait, elle n’a trouvé ni amis ni ennemis ; mais alors, montant sur le rempart, elle fait ce qu’ont fait, la veille, les Saxons du corps de Reynier, elle tire de haut en bas sur les Français! « Quand j’eus, l’année précédente, à subir la détection des Prussiens, s’écrie avec indignation Macdonald, ils eurent au moins la pudeur de ne pas faire feu immédiatement sur nous ! » Le lendemain, dans le désarroi de la retraite, il rencontre par hasard Augereau ; il lui demande l’explication de ce qui s’est passé la veille, lorsqu’on est venu lui donner l’ordre de secourir un camarade, et voici ce qu’Augereau lui répond : « Est-ce que le b….. sait ce qu’il fait? Ne vous en êtes-vous pas aperçu déjà? N’avez-vous pas remarqué, dans les derniers événemens et dans la catastrophe qui les a suivis, qu’il avait perdu la tête ? Le lâche ! il nous abandonnait, nous sacrifiant tous, et me croyez-vous assez fou ou assez bête pour me faire tuer ou me faire prendre pour un faubourg de Leipzig? Il fallait faire comme moi, vous en aller. » Quand, jadis, Vandamme injuriait Napoléon, c’était du moins après une victoire, après Wagram.

Dès la veille, Macdonald avait pu juger lui-même de l’état d’esprit de l’empereur. Le maréchal avait failli périr, comme Poniatowski, noyé dans l’Elster ; il venait de faire, pour gagner à Markranstadt le grand quartier-général, trois lieues à pied, ruisselant d’eau, frissonnant; il arrive; l’empereur était assis près d’une table, les yeux sur la carte, la tête appuyée sur une main; la chambre était remplie de généraux et d’officiers. Macdonald fait en pleurant, oui, en pleurant, le récit de ce qu’il vient de voir et d’entendre, ses soldats, sur l’autre bord de l’Elster qu’ils ne peuvent franchir, criant, implorant : « Monsieur le maréchal, sauvez vos