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Afin qu’il pût tenir tête à Blücher, l’empereur avait joint à son corps d’armée celui de Ney, provisoirement commandé par le général Souham, celui du général Lauriston, et la réserve de cavalerie du général Sébastiani. Blücher se tenait sur les hauteurs de Jauer; Macdonald fit porter à Souham, qui était du côté de Liegnitz, l’ordre de tourner la droite des Prussiens, pendant qu’avec le 11e corps et celui de Lauriston il les attaquerait de front et sur leur gauche. Depuis la veille, la pluie était incessante, le terrain détrempé ; la pente était raide ; la seule route que pouvait prendre la cavalerie n’avait pas plus de quinze pieds de large ; Sébastiani y avait d’abord engagé toute son artillerie ; arrivées à grand’peine au sommet, les pièces s’embourbent jusqu’à l’essieu ; impossible de les mouvoir; l’infanterie pendant ce temps montait à droite et à gauche ; mais la pluie pénétrant dans les bassinets, les amorces ne prenaient pas; d’autre part, Souham avait manqué son mouvement. Pour les mêmes raisons, le feu de l’infanterie ennemie n’était pas redoutable; mais l’artillerie prussienne, depuis longtemps en position, ne ménageait pas les salves, et la cavalerie, déployée sur le plateau, chargeait tout ce qui essayait de prendre pied sur la crête. Il fallut redescendre, faire une retraite de nuit dans les ténèbres, à travers les ruisseaux débordés et les ravins devenus torrens ; les colonnes décousues allaient à l’aventure, semant derrière elles les éclopés et les traînards. En deux mots, c’était la débandade et la déroute.

Je n’ignore pas qu’il est malséant de se citer soi-même; néanmoins je prie qu’on me permette de reproduire ici un passage écrit ailleurs, dans un temps où je ne prévoyais pas que j’aurais à m’occuper un jour de Macdonald et à l’étudier de près. « Soutenue par des hommes faits et des soldats faits, la bataille de la Katzbach n’eût pas été perdue peut-être; elle n’eût du moins été qu’un échec réparable : avec des hommes trop jeunes et des soldats de la veille, elle fut le commencement d’un désastre. Jamais on ne verra mieux, par opposition, ce que vaut l’énergie physique et morale, la résistance du corps et de l’âme aux injures du temps, à la faim, à la soif, à toutes les misères de la guerre, ce stoïcisme, en un mot, que donne, non pas tout d’un coup, mais insensiblement, l’éducation militaire, et qui n’est après tout que le sentiment de plus en plus raisonné de l’honneur et du devoir. Sur cette bataille de la Katzbach et sur ses suites, ce ne sont pas les témoignages qui manquent; mais il n’y a pas de témoin plus autorisé, plus convaincant et plus sincère que le maréchal Macdonald. On sent qu’on est en face d’un honnête homme, qui ne s’attribue pas le droit et n’a pas même la tentation de rien déguiser ni de