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ses bastions ont fait leurs preuves; Samory n’a pu les prendre; après un long siège, il a dû s’en retourner avec sa courte honte. Le roi ou fama qui réside dans cette capitale peut dire comme Louis XIV dans ses instructions au dauphin : « Les rois sont seigneurs absolus et ont naturellement la disposition pleine et entière de tous les biens qui sont possédés par les gens d’église comme par les séculiers, pour en user en tout temps comme de sages économes. » La plus grande partie du Kénédougou est sa propriété personnelle, où tout lui appartient, choses et gens, hommes et bêtes.

Le royaume de Tiéba est comme un vaste domaine obéissant à un puissant chef de case, et tous ses sujets sont ses captifs. Les uns sont cultivateurs, d’autres sont commerçans ou diulas, d’autres presque uniquement guerriers. Les diulas vont chercher des kolas où l’on en trouve, du sel à Djenné, des étoffes européennes et des armes à Médine ou à Kayes. Ils sont au service exclusif et à la solde du souverain; c’est lui qui leur fournit les objets d’échange, c’est à lui seul qu’ils rapportent leurs marchandises. Les cultivateurs sont astreints à des résidences déterminées. Tel village important au point de vue stratégique a été créé de toutes pièces par l’ordre du maître; tel autre, détruit jadis, a été relevé et repeuplé par les colons qu’il a fait venir de quelque province éloignée. A la tête de ces villages il met un de ses sofas, et un captif devient chef de captifs. En principe, les récoltes appartiennent intégralement au fama; d’habitude, il se contente des produits d’un domaine ou lougan ensemencé et cultivé pour son compte par le village tout entier.

Toutefois, si puissant que soit un conquérant africain, il est tenu de compter avec les traditions des populations conquises, et au Kénédougou comme ailleurs, le régime patriarcal est le seul que comprennent les populations autochtones. Dans chaque village, le vrai roi est l’aïeul, l’ancien ; celui qui règne à Sikasso est un dieu dont on entend souvent parler, mais qu’on ne voit jamais, et avec lequel on ne communique que par l’intermédiaire de ses saints. Le pouvoir de Tiéba est un despotisme tempéré par l’esprit de famille et par l’autorité des barbes grises; mais il a une armée, des capitaines choisis par lui, des soldats qui ne jurent que par son nom et dont il dispose à son gré, et dans les grandes circonstances, aussi loin que s’étendent ses états, il est presque sûr d’être obéi.

Tout autre est le système de gouvernement que le docteur Crozat a pu étudier dans le bassin, du Volta. Le Mossi est une immense terrasse, creusée de dépressions peu marquées, où l’eau croupit, hérissée de nombreux mamelons ferrugineux et surmontée çà et là de quelques pics granitiques isolés. La capitale n’est pas comme Sikasso un lieu fortifié. « Qu’on se représente, dit le docteur, un large plateau dénudé que l’on aperçoit en venant du nord d’une distance de quatre ou cinq