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attaquer l’éléphant, trouver sur son layon un gros faisceau de racines et de lianes ou encore un massif d’arbres formant enceinte, que l’homme puisse traverser et où l’animal ne puisse pas passer. Ce point choisi, le noir s’embusque, il attend, et, quand l’éléphant, sans défiance, frôle son abri, à bout portant il lui lâche un coup de sa pétoire.

Je dis « pétoire, » j’ai tort. Beaucoup de nègres ont de très bons fusils, témoin Papillon qui a un excellent vieux fusil à tabatière en parfait état de conservation et d’entretien, veuf seulement de sa hausse, ce qui n’empêche pas son propriétaire de descendre un singe à cent pas.

Le coup parti, de deux choses l’une : ou l’éléphant est blessé, ou il est manqué, car de tuer un éléphant raide comme un petit lapin, il ne faut pas trop y compter. J’ai ouï dire qu’avec l’express-rifle, la balle explosible, on foudroyait un rhinocéros, un hippopotame ou un éléphant ; c’est parfaitement possible, mais, heureusement pour nous, l’armurerie nègre ignore ces perfectionnemens.

L’éléphant blessé à mort, ou qui a une jambe cassée, s’arrête, se cale solidement, relève sa trompe et attend. Quelquefois il crie, alors c’est terrible. M. Augouard, dans les récits qu’il nous avait faits pendant, la traversée de ses chasses au Congo, nous avait dit ne rien connaître de plus terrifiant que le cri de l’éléphant blessé ; Papillon, dans son langage imagé, me raconte que la terre tremble, que l’homme le plus brave a peur et que lui, après trois ans de chasses et une trentaine d’éléphans tués, se cache comme un petit garçon, sans oser bouger. Quand l’éléphant est là, trompe levée, il ne fait pas bon l’approcher, d’un coup de trompe il pulvériserait un homme, et le noir, qui sait à quoi s’en tenir, continue à tirer de son enceinte en visant de préférence entre l’œil et l’oreille. Il faut quelquefois trente balles pour abattre l’animal.

L’important est que le premier coup soit bon et arrête l’éléphant ; sinon, l’animal blessé, surpris, affolé, pique droit devant lui aussi vite que la densité de la brousse le lui permet. Le cas de l’éléphant furieux, se ruant sur le massif d’arbres, brisant tout, atteignant le chasseur, le piétinant en sinistre bouillie, est très rare ; l’attaque est trop brusque, trop imprévue, l’animal ne sait pas d’où part le coup qui l’a frappé, et presque toujours, après une seconde d’hésitation et de fureur, il se sauve. Alors la poursuite commence, longue, difficile, pouvant durer des semaines et se terminer par la guérison de l’animal. C’est là que doivent se développer ces merveilleux instincts qui sont le trait d’union entre la race noire et la bête. Et Papillon prétend qu’il retrouve la piste d’un éléphant passé depuis