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de l’impératrice Théophano et du jeune Otton III, « car, dit-il, en trois personnes, je n’en comprends qu’une seule, l’empereur. « Il ne parlerait pas autrement de la Trinité. Au besoin, il affronterait le martyre pour la défense de son dogme. Il rappelle ainsi à Otton III la captivité dans laquelle celui-ci avait été retenu, à la mort d’Otton II, par Henri de Bavière, son compétiteur à l’empire : « Pendant trois générations, même en face de l’ennemi, j’ai confessé ma foi la plus pure en vous, en votre père, en votre aïeul ; j’ai exposé pour votre salut mon humble personne à la fureur des princes, à la démence des peuples. J’ai affronté les déserts, l’attaque des brigands, la faim et la soif, le froid et la chaleur, toutes les fatigues et toutes les angoisses, préférant la mort à la douleur de voir le fils de César prisonnier et dépouillé de l’empire. »

C’est par ces notions très simples et très fortes que Gerbert a su résoudre le problème du mal, tel qu’il s’imposa aux hommes de son siècle, la lugubre énigme qui désespéra Glaber et les moines les plus malheureux du moyen âge. Ce sentiment dédaigneux pour la fortune, c’est-à-dire pour les choses extérieures, cette liberté de conscience religieuse, cette constance de la doctrine politique sont qualifiées par lui du nom de philosophie. Chaque fois qu’il a besoin de reposer ou de fortifier son cœur, il revient à la philosophie, c’est-à-dire à la méditation personnelle, à la lecture des anciens, à l’idéal qui lui est familier, à la raison. En lui, la foi et la sagesse philosophique ne se heurtent jamais, le stoïcien et le lettré n’inquiètent point l’évêque, car il se rattache à la tradition candide des pères qui conciliaient avec une grâce si aimable le Credo et les droits de la pensée. Il relit sans relâche Boèce, Sénèque et Cicéron et, parfois, rencontre à son insu Épictète qu’il n’a point connu. Il a retrouvé, sans qu’il en coûtât rien à son orthodoxie, la hauteur et la clarté d’âme des maîtres antiques. Il se sent supérieur aux misères du monde et ne doute pas de Dieu. Or la discipline rationnelle, qui habitue l’entendement à rechercher en toutes choses le degré de certitude qu’elles renferment, produit sur les idées fausses un effet merveilleux : elle dissipe comme par un charme les préjugés, les chimères, les terreurs enfantines et les visions, elle est le noble rayon de soleil qui purifie la terre des brouillards de la nuit.

Ce rayon a manqué à Raoul Glaber. Il semble qu’il ait vécu au fond de quelque crypte de cathédrale romane, à la lueur d’une lampe sépulcrale, n’entendant que cris de détresse et que sanglots, l’œil fixé sur un cortège de figures mélancoliques ou terribles, œgri somnia. Le plus triste, c’est que la maladie intellectuelle, l’espèce de fièvre obsidionale dont il a pâti n’est point alors un