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souvent on se frappe. Ce sont de véritables soulèvemens locaux, tragiques parfois, comiques aussi, dont il faut bien, pour être complet, que nous donnions sommairement le récit.

Dans le courant de l’année dernière, le révérend Jones, faisant un matin ses comptes, s’apercevait que le village de Solva, en Pembrokeshire, où il exerce les fonctions de vicaire de l’église anglicane, lui devait encore une somme importante. Au nombre de ses débiteurs figurait en première ligne un personnage revêtu comme lui d’un caractère sacré et qui n’était autre que le confrère d’à côté, l’éloquent Garibaldi Thomas, pasteur favori des habitués de la chapelle dissidente. Sur l’heure il envoie des sommations aux retardataires, et celles-ci étant restées inutiles, il a recours aux services du collecteur et du commissaire-priseur. Ces derniers procèdent immédiatement à l’accomplissement des formalités préliminaires; une dernière fois, les termes arriérés sont réclamés, après quoi, sur un refus définitif d’en solder le montant, l’expédition entre en campagne. Tout d’abord, elle saisit çà et là, sans rencontrer grande résistance, la génisse ou le porc de quelque pauvre diable. Mais quand, au nom de la loi, elle se présente au domicile du ministre non-conformiste, la foule s’ameute, et de dédaigneuse qu’elle était, devient menaçante. C’est que le révérend Thomas est aussi chéri de la population que le révérend Jones en est détesté. L’agitation est extraordinaire. Les femmes brandissent des balais, les hommes des fourches. On crie, on siffle, on accable d’injures l’huissier, les officiers publics et les policemen qui les accompagnent. Heureusement M. Thomas est là, et il s’interpose. Il ouvre sa porte toute grande, et indique d’un geste qu’il veut parler. il parle en effet, et son langage est pacifique. Il supplie ses amis, ses ouailles, son cher troupeau de laisser la loi suivre son cours. Qu’importe qu’une iniquité de plus soit consommée, on n’en est pas à les compter. Il continue, et aux acclamations qui l’accueillent, on devine de quelle influence il dispose. Même un acheteur peut emmener une belle vache blanche qui vient de lui être adjugée pour cinq livres sterling, somme qui représente à peu près le chiffre de la dette du révérend en ce qui concerne sa propriété du village. L’affaire semble terminée, et on peut croire que les fondés de pouvoirs du créancier arriveront, sans trop de peine, au bout de leur tâche. Mais le débiteur a plus d’une taxe à payer, car il est riche et possède des fermes un peu partout. Plus loin, dans un établissement agricole qui lui appartient, le commissaire-priseur, suivi par la multitude, s’apprête à instrumenter de nouveau. Au moment où connaissance est donnée des conditions de la vente, les cris recommencent, le petit groupe officiel est couvert de huées. Plus de six cents personnes l’entourent. La voix de