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la dignité gouvernementale incarnée dans sa personne, s’astreignit à la dure nécessité de faire une déclaration ministérielle en pantomime. Rien de plus étrange que cette belle et imposante figure du marquis di Rudini, gesticulant et remuant les lèvres comme dans une scène où un acteur débite un rôle de muet.

Le tumulte, d’ailleurs, était arrivé à son comble ; des cris on en était venu aux coups, dans l’enceinte de Monte-Citorio ; et c’est au milieu de ces violences sans exemple que le président dut, comme par deux fois la veille, suspendre la séance en se couvrant.

La minorité avait décidément dominé la majorité. On le comprit pendant la longue suspension de séance qui s’ensuivit. On négocia. Il fut convenu qu’à la reprise de la séance il ne serait plus question de l’interpellation Brin, et que l’on se bornerait à échanger d’extrême droite à extrême gauche des paroles courtoises et amicales effaçant tout ensemble et injures et coups.

Les adversaires de l’alliance germanique triomphaient définitivement. Le gouvernement était vaincu. Pendant deux séances consécutives, sa politique s’était trouvée en échec. Le ministère avait été mis dans l’impossibilité matérielle, absolue de faire entendre sa parole. Libre à lui de considérer comme un vote de confiance les applaudissemens dont les députés de la majorité, plus en haine de leurs collègues d’extrême gauche que par amour de la triple alliance, avaient salué la mimique à laquelle il avait dû se livrer. Ce qui est certain, c’est que nul, ni dans la chambre, ni dans le pays, ne peut dire que la voix du gouvernement soit arrivée aux oreilles des représentans de la nation.

Or, cela est grave ; car le lendemain même l’empereur d’Allemagne annonçait, dans la forme quelque peu grotesque que j’ai déjà indiquée plus haut, que la triple alliance était renouvelée. Et le même jour, lundi 29 juin, M. le marquis di Rudini, comme s’il se conformait à quelque chose de convenu entre Berlin et Rome, prononçait devant le sénat les paroles suivantes : « A l’égard de nos rapports avec les puissances centrales, on sait depuis longtemps qu’ils sont intimes et que vive et sincère est l’amitié de l’Italie pour l’Allemagne et pour l’Autriche. Les traités souscrits sont une sûre et solide garantie de paix. Le moment de leur échéance approchait. Il était naturel qu’il y eût une période d’hésitations, de doutes, d’incertitudes qui agitaient l’opinion en Italie comme au dehors. J’ai pris en conséquence des accords, et j’affirme que, avant même que les traités anciens viennent à échéance, les nouveaux seront déjà en vigueur depuis longtemps, car la politique extérieure ne comporte pas de solutions de continuité. Nos alliances, maintenues fermement et sincèrement, assureront la paix à l’Europe pour longtemps. Je crois que l’Europe entière devra