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temps où ils vécurent, ils ne se détachaient certainement pas avec cette majesté de la foule des vaillans capitaines qui furent leurs lieutenans ou leurs précepteurs. La marine néerlandaise, on peut le supposer, eût été grande, eût été victorieuse sans eux.

L’école d’où sortit cette glorieuse élite, cette élite qu’on vit, à l’étonnement du monde, tenir si longtemps en suspens l’épée jusqu’alors triomphante de l’Angleterre, ne ressemblait guère aux académies où nous allons puiser aujourd’hui nos combattans. Elle fournissait surtout aux amirautés de Zélande et de Hollande des caractères éprouvés. Il n’est pas d’examens qui puissent constater ce que sera un jour le caractère d’un homme. Le même métal reçoit cependant des qualités différentes suivant les procédés de la trempe. Il faudra beaucoup d’instruction, beaucoup de dispositions natives, pour suppléer cette école de misères, de périls, de souffrances, par laquelle ont passé les grands hommes de mer du XVIe et du XVIIe siècle. Duguay-Trouin clôt la liste ; Suffren et Nelson eux-mêmes n’y figurent pas. Nous devons voir en eux de bons écoliers, les meilleurs, à coup sûr, qu’ait formés une marine à demi savante ; ces écoliers n’ont déjà plus la verdeur d’instinct que l’habitude déjouer sa vie tous les jours, de la jouer dès l’enfance, imprimait aux commandans des flottes sorties des embouchures de la Meuse et du Zuyderzée.

Deux fois dans des périodes séparées par deux siècles et demi d’intervalle, le même fait s’est produit : un petit peuple qu’une puissance colossale se flattait d’écraser sans peine a conquis son indépendance à l’aide de sa marine. Les gueux de mer ont affranchi les Pays-Bas du joug de l’Espagne ; les corsaires d’Hydra et d’Ipsara ont arraché la Grèce à la tyrannie ottomane.

Sortie victorieuse de la journée de Lépante, l’Espagne possédait une, marine à rames qui lui garantissait l’empire de la Méditerranée ; l’annexion du Portugal en 1580, joignant les ressources de Lisbonne aux ressources de Cadix, lui donnait une flotte à voiles à laquelle semblait devoir appartenir sans conteste la suprématie navale sur l’Océan : des mers difficiles, des navires peu maniables, firent échouer presque au port la fortune de Philippe II. Deux cent cinquante ans plus tard on voyait également, dans les eaux de Cos, les bricks de Miaulis combattre avec avantage les trois-ponts du sultan Mahmoud.

Il est fort heureux que l’entreprise du fils de Charles-Quint contre les États échus après la mort de la reine Marie à la fille d’Anne Boleyn ait avorté. L’établissement de la monarchie universelle eût arrêté la civilisation chrétienne dans son essor ; elle aurait consacré des prétentions qui semblaient à jamais disparues avec