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si elle existe, doit être une grande hérésie et non pas une icône sacrée !..

Lisez le livre d’Hermeneja[1] !.. Voilà une belle étude !.. et qui a été écrite sur la sainte montagne d’Athos... C’est comme la bible de l’artiste !.. Là, chaque chose est à sa place, et quand on peint la sainte Vierge... on sait qu’il faut la peindre comme ceci et non comme cela !.. Et avant tout il faut qu’elle ait la mesure !.. neuf fois la hauteur de la tête !.. en comptant depuis le front jusqu’aux pieds !.. Et chaque tête doit avoir neuf pouces. Pour les couleurs, on fait différens mélanges, ainsi, par exemple, sur le visage de la madone, il faut absolument une rougeur virginale !.. Eh bien... on prend un peu de cinabre !..

Je connais encore les livres de Podlinnyk et de Stohlaw... Voilà de fameux ouvrages !.. on peut y voir toute l’iconographie, tous les modèles possibles de vierges... Mais, ni dans l’un ni dans l’autre, on ne trouvera une madone comme celle dont vous parlez !.. Ne peins pas ton Dieu à la légère, car c’est un péché plus grave que de l’invoquer sans raison, et ne peins pas davantage étourdiment son Fils, ni ses saints, ni ses patriarches, ni ses anachorètes, ni ses prophètes, ni ses martyrs !.. Ne te mets pas au travail avec un cœur orgueilleux, et ne te fie point à ta cervelle vide, car sinon ta peinture sera sacrilège !.. Moi qui vous parle, j’ai toujours tenu le pinceau dans la crainte du Seigneur, dans sa vénération et en faisant pénitence !.. Le malheur, c’est que de l’âme à la toile la route est longue !.. et bien rude !.. l’âme est clairvoyante... mais la main est aveugle !.. Maintenant, je ne peins plus !.. je prie seulement le bon Dieu de miséricorde qu’il me donne le pardon et l’absolution de mes fautes, car... je suis un grand pécheur ! un grand pécheur, mes frères !.. et mes peintures sont misérables !.. Mais cependant... ma vie l’est encore bien davantage !..

Ici, le vieillard s’arrêta, et se mit à pleurer à chaudes larmes, en faisant de nombreux mea culpa. Puis soudain, sans qu’on s’y attendît, sa tête retomba sur sa poitrine, et il s’endormit d’un sommeil paisible de petit enfant, tandis que des larmes continuaient à rouler le long de ses joues creuses.

C’en était fait à présent du sort du tableau !.. Et bien que les membres de la députation n’eussent presque rien saisi des paroles du bon moine, ils comprenaient que la Vierge moissonneuse était condamnée sans retour.

Ils s’en retournèrent à leur village, très occupés de ce qu’ils avaient vu et entendu, essayant de se rappeler les phrases prononcées par l’ascète, mais c’étaient justement les plus obscures qui

  1. Commentaires sur la peinture byzantine.