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LA MADONE DE BUSOWISKA.

femme de peine !.. une vierge journalière !.. vous voulez dire !.. mais regardez donc vous autres, paysans !.. Vous ne voyez pas seulement comment elle est habillée, votre Madone. Elle a tout à fait l’air d’une femme de chez vous !.. Ha ! ha ! ha !.. elle porte des coraux,.. une veste sans manches... et des galons brodés à sa chemise comme une montagnarde de Busowiska !..

Et, à chacune de ses phrases, il partait d’un grand éclat de rire :

— Eh bien ! quel mal voyez-vous à cela, s’il vous plaît ? demanda résolument Técla.

— Quel mal !.. gémit Kurzanski en levant les bras au ciel avec indignation, mais il ne vous manque plus alors que de faire peindre comme pendant le Christ en touloupe, un chapeau de feutre sur la tête... et une hachette de montagnard à la main !.. Quel mal il y a à cela, bon Dieu ?.. — Non !.. — de sa vie, Kurzanski n’a rencontré une femme aussi bornée !..

— Et moi, s’écria Técla, qui ne se contenait pas de rage, je n’ai jamais rencontré de peintre plus bête !..

Elle se tenait si près de l’artiste qu’il jugea prudent de s’écarter un peu, mais Técla, dont la colère était arrivée à son paroxysme, lui mit sans façon le poing sous le nez :

— Que maître Kurzanski garde son esprit pour lui : Técla sait ce qu’elle dit, et ce n’est pas un imbécile de son espèce qui la fera changer à son âge !.. Le meilleur conseil qu’elle puisse lui donner, c’est de ne pas se mêler de parler, s’il n’a pas de choses plus sensées à dire et de rester plutôt le nez dans ses couleurs !.. Pense-t-il qu’une belle Madone comme celle-là se laissera vaincre par un misérable barbouilleur !.. Et quelle honte y a-t-il donc, je vous prie, à ce que la sainte Vierge porte une chemise à galons ?.. Elle est la reine du ciel et peut s’habiller comme il lui plaît !.. et Kurzanski aussi ! Est-ce que Técla n’a pas vu de ses propres yeux l’empereur lui-même à Sambor porter un uniforme tout pareil à celui de ses soldats ?.. et cependant... chacun savait bien que c’était l’empereur !.. Et puis enfin, avant d’être reine au paradis, la Madone n’a-t-elle pas été une simple femme comme nous toutes... Elle était pauvre !.. Elle travaillait pour vivre !.. Kurzanski ne sait-il pas que la Vierge filait... et si fin que les araignées elles-mêmes en étaient jalouses,.. et quand son fils est mort,.. elle l’a pleuré... comme pleurent les pauvres mères !.. Au reste, Kurzanski ferait beaucoup mieux de ne pas se mettre en peine de sa gloire !.. car elle n’en a vraiment pas besoin, et c’est le meilleur conseil que peut lui donner la vieille Técla.

Pendant tout le temps qu’avait duré ce discours, débité avec une volubilité vertigineuse, Kurzanski, incapable de placer un

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