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L’empereur, jugeant que l’infanterie perdrait beaucoup de monde à cette attaque, eut l’idée d’y employer de la cavalerie. Il fit avancer les chevau-légers de la garde. C’étaient, en général, des Polonais armés de lances. Ils étaient commandés par un jeune colonel, nommé M. de Montbrun. L’empereur leur montra cette position formidable et leur proposa de l’enlever au galop. Cette brave cavalerie accepta avec joie. La rapidité de la pente la contraignit de faire halte deux fois pour laisser souffler les chevaux. Enfin, elle se précipita sur l’artillerie ennemie et, malgré une grêle de mitraille et de balles, et contrairement à l’attente de tout le monde, elle enleva la batterie et se couvrit de gloire aux yeux de l’armée, qui la suivait à la course, mais de loin. L’armée espagnole était en déroute. Toute l’artillerie, pièces et caissons, les voitures de bagages, les caisses des régimens étaient en notre pouvoir. La cavalerie suivit le mouvement des chevau-légers polonais, en poursuivant et sabrant les fuyards. Tous ceux qui ne purent trouver un abri dans la montagne furent tués ou pris. Il y eut là une déroute indescriptible. Le soir, toute la cavalerie et le quartier-général couchèrent à Buytrago. L’obstacle était franchi. Désormais, rien ne pouvait plus nous arrêter jusqu’à Madrid.

L’attaque et l’enlèvement d’une position si forte, par de la cavalerie seule, est un des faits d’armes les plus extraordinaires que présente l’histoire militaire. Il honora beaucoup les braves chevau-légers polonais et celui qui les commandait. On disait alors que c’était le colonel de Montbrun qui avait proposé ce coup de main à l’empereur. Il fut fait général.

Le 1er décembre, nous bivouaquâmes, sans feux, sur la neige, en avant de Saint-Augustin, où était le quartier-général de l’empereur.

Le 2 décembre, de grand matin, nous fîmes toilette, comptant bien entrer à Madrid dans la journée. Nous nous mîmes en marche. Arrivés à Alcobendas, nous entendîmes le canon. L’empereur était en avant avec toute la garde en grande tenue. Le 2 décembre étant l’anniversaire du couronnement, nous crûmes que ces coups de canon étaient tirés en l’honneur de l’empereur et pour fêter son entrée à Madrid. Nous étions très éloignés de croire à une résistance quelconque de la capitale. Enfin, nous arrivâmes sur les hauteurs de Chamartin, où étaient l’empereur et toute la cavalerie. La ville était barricadée. Les cloches de toutes les églises sonnaient le tocsin à toutes volées. Les cris de la populace furieuse, maîtresse de la ville, se mêlaient aux détonations des canons qu’on tirait sur nos troupes. Tous ceux qui s’approchaient des faubourgs étaient reçus à coups de fusil. Il fallut s’arrêter.