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le nez de peur d’une mauvaise odeur, et laissait pourtant le public dans l’attente de grandes choses. Quelques amis de son père hochaient leurs têtes de bourgeois économes en considérant son luxe de grand seigneur. Le peuple en jugeait mieux, et quand il le voyait passer avec ses airs de prince, superbement drapé dans de riches vêtemens, le peuple le regardait d’un œil indulgent et lui pardonnait tout, par un pressentiment obscur de l’avenir.

Il est plus facile de constater que d’expliquer l’étrange pouvoir de séduction qui fut l’une de ses grandes forces. Ses contemporains ont sans cesse le même mot à la bouche en parlant de lui. Qu’ils l’aient connu jeune ou vieux, roi de la jeunesse d’Assise ou moine ascétique, ils disent toujours : — Il était « si aimable. » On ne saurait prétendre qu’il fût beau, surtout pour un temps où l’air de vigueur comptait pour beaucoup. Sa personne était petite et frêle, son teint pâle et délicat. Il avait la figure allongée, les traits fins, le cou fluet, de petites oreilles, de petites mains, de petits pieds, rien de très frappant, en somme, si ce n’est le beau regard franc de ses yeux noirs et le charme inexprimable de sa physionomie, tout aimable comme son âme. La grâce souriante qui a constamment marqué ses actions, y compris les plus hautes et les plus austères, rayonnait sur son visage et disposait les cœurs pour lui. Sa voix musicale et caressante achevait de les lui soumettre. Le monde tendait le cou à son joug avant de savoir ce qu’il serait.

Cependant son père l’avait associé à son commerce et se réjouissait d’avoir un fils aussi avisé en affaires. Saint François, — dernier trait imprévu, — lut, avant sa conversion, un négociant habile, très attentif à accroître son gain. Il se tenait dans la boutique et servait les pratiques, qui l’aimaient à cause de sa politesse.


II.

Les premiers signes d’un changement intérieur se manifestèrent aux approches de la vingtième année. L’enfant gâté, qui avait toujours marché dans la vie comme dans une fête, commençait à ouvrir l’oreille aux bruits du monde, et il entendait monter vers lui, de toute la terre italienne, un gémissement douloureux qui l’étonnait. Il commençait à regarder autour de lui, et il était embarrassé de ce qu’il apercevait de visages abattus et d’yeux en larmes. Son attention s’arrêta tout d’abord sur les pauvres. Un incident, très vulgaire en soi, lui fit remarquer pour la première fois la sécheresse de leurs rapports avec les riches, et il fut froissé de sa découverte.

Un mendiant était venu lui demander l’aumône dans un moment