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le monument parlait s’élève comme une calme apparition… C’est un rêve qui flotte, une chose aérienne dépourvue de poids, tant est parfait l’équilibre des lignes, et si pâles, si légères sont les ombres qui circulent sur la pierre virginale et translucide. Ces cyprès noirs qui l’encadrent, ces verdures trouées de ciel bleu, ce gazon éclairé de lumière vive où le soleil projette violemment les silhouettes des arbres, toutes ces choses solides rendent plus irréelle l’image pâle qui va s’évanouir dans la clarté du ciel.

J’avance sur la rive de marbre qui longe le canal sombre, et le mausolée prend du relief. À mesure que l’on approche, l’œil jouit davantage des surfaces du monument octogonal. Ce sont des étendues rectangulaires de marbre poli où la lumière repose avec un éclat doux de lait. On ne savait pas que cette chose si simple, la surface, pût être si belle quand elle est grande et pure. On suit l’enroulement savant et doux des grandes fleurs, des fleurs d’onyx et de turquoise, incrustées sans une saillie, l’harmonie des ciselures frêles, des dentelles de marbre, des ogives, des balustrades mille fois découpées, le jeu infini du vide et du plein.

Le jardin complète le monument, et tous deux font partie de la même œuvre d’art. Les allées qui conduisent au Taj sont bordées d’arbres de deuil, ifs et cyprès qui font plus blanche la blancheur lointaine du marbre. Derrière leurs maigres cônes, des massifs touffus, d’épais feuillages donnent de l’opulence et de la profondeur à cette sérieuse végétation. Les arbres sombres et rigides, détachés sur cette verdure mouvante, montent avec solennité, les pieds dans des fourrés de roses, dans des bouquets de mille fleurs inconnues et parfumées, épanouies en monceaux dans le jardin solitaire. Toute cette ordonnance est d’un artiste supérieur. Des pelouses claires, des corolles pourprées, des pétales d’or, des essaims d’abeilles bourdonnantes, des papillons diaprés, mettent de la lumière et de la joie dans des noirceurs de cimetière. Cela est à la fois lumineux et grave ; c’est la joie d’un paradis musulman, amoureux et religieux, et le poème de verdure s’unit au poème de marbre pour parler de splendeur et de paix.


À l’intérieur du mausolée, c’est d’abord la nuit, nuit profonde où luit faiblement une grille de vieux marbre, une dentelle mystique qui circule autour des tombes, qui s’enroule et se déroule à l’infini, épanchant des clartés de caveau, une lumière jaunâtre, qui semble antique, absorbée là depuis des âges… Et l’enlacement de marbre pâle se poursuit, se perd dans les ténèbres.

Au centre, les tombes des amans, deux sarcophages minces où dort un peu de lumière vague venue on ne sait d’où. Rien de plus. Ils reposent là dans le silence, entourés de choses parfaites qui célèbrent