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que la routine raisonnée a fixés comme durée de ce déluge artificiel. Rouets et pompes centrifuges puisent, dans les eaux dérivées du petit fleuve, 9, 12 et jusqu’à 24 mètres cubes à la minute par machine et injectent ces flots bienfaisans sur les vignes envahies par l’insecte. Au début de la période, on entretient le feu jour et nuit ; nuit et jour, deux mécaniciens, se relayant tour à tour auprès de chaque appareil, veillent au fonctionnement continu[1]. Au bout de dix jours, les pompes ont refoulé sur l’espace qu’elles doivent submerger (cette étendue, variable suivant la capacité de la pompe, n’est guère inférieure à 30 hectares) une couche liquide d’épaisseur convenable. Il est désormais permis de respirer un peu, et, jusqu’à la fin du travail la vapeur ne fonctionne que de cinq heures du matin à quatre heures du soir et simplement en vue d’empêcher le niveau de submersion de baisser ; heureux quand de bonnes averses viennent épargner cette dépense d’entretien. Si ailleurs « pluie en février, c’est du fumier, » à Marsillargues la pluie est du charbon. Un homme, généralement un travailleur attaché à l’exploitation, surveille spécialement les progrès ou le recul de l’inondation. Quelquefois enfin le Vidourle, en débordant, submerge sans l’aide des machines ; mais une pareille aubaine est chose rare.

Finalement, le bain ayant été jugé suffisant, les pompes s’arrêtent, l’eau baisse par degrés et le sol se montre de nouveau. On commence par le travailler avec la herse ou le griffon : ce grattage superficiel favorise la dessiccation et empêche la charrue de soulever de trop grosses mottes, lors de son passage subséquent. Jusqu’au milieu de l’été, les « façons » se succèdent sans relâche, tantôt exécutées à la charrue, comme nous venons de le dire, tantôt réalisées simplement par l’outil du travailleur.

Arrive le début de juillet : à cette époque, les vignes, rapprochées de 1m,50 dans un sens et de 2 mètres suivant la direction perpendiculaire[2], projettent des sarmens si vigoureux que les mules ou chevaux ne peuvent plus pénétrer dans ce fouillis de pampres sans risquer de produire de grands dégâts. On dit alors que les plantiers « se ferment. » Le vignoble, à partir de cette date jusqu’aux vendanges, est travaillé a à la main » et raclé avec toute la minutie désirable. Le travail ne chôme guère, car sur ces riches

  1. Le propriétaire loge et nourrit les mécaniciens et leur donne en outre 4 francs par jour.
  2. Organisés à 1 mètre sur 2, les plantiers des sables d’Aigues-Mortes contiennent plus de pieds de vigne par hectare. On dispose, à Montpellier, les souches suivant un damier dont le côté équivaut à 1m,50 ou 1m,60 ; l’hectare renferme alors 4,000 pieds en moyenne.