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mais à nous en souvenir. Sans compter que l’interprétation est bonne: Mlle Brandès, qui garde et gardera, je crois, toujours une âpreté un peu rauque, a cependant pris dans la voix et le jeu quelque chose de plus doux, de plus souple et de plus fondu ; M. Candé plaît comme à l’ordinaire par un naturel plein de chaleur, et M. Dieudonné est un coquin du meilleur monde et du meilleur ton.


Le scénario de Musotte est fait avec beaucoup de naturel et de facilité; la pièce n’est pas ennuyeuse, elle serait plutôt banale trop souvent et quelquefois un peu choquante. Elle offre le spectacle, toujours intéressant pour les personnes sensibles, d’une pauvre fille qui meurt sur une chaise longue, auprès d’un berceau. Mais elle nous montre aussi, et l’émotion de ce dénoûment est plus douteuse, un mari qui le soir de ses noces apporte à sa femme un petit enfant.

Vous connaissez le drame ; il est très simple; un jeune peintre, Jean Martinel, vient de se marier; vers minuit, au moment d’emmener sa femme, il est appelé d’urgence au chevet d’une pauvre fille, Musotte, son modèle et sa maîtresse de l’an dernier. Elle vient de mettre au monde un enfant et elle va mourir. L’enfant est le fils de Jean; Musotte le jure, d’un serment solennel de moribonde ; elle le lui confie et meurt. Le jeune homme emporte son fils ; il avoue sa paternité à sa femme, qui reçoit l’enfant dans ses bras et promet d’être sa mère.

Le sera-t-elle en effet, et quelle mère ou quelle marâtre? Sous ce devoir extraordinaire, inattendu, accepté de bonne foi et de grand cœur dans un élan de dévoûment et d’héroïsme, la jeune femme ne pliera-t-elle pas un jour, demain peut-être? — On ne voit jamais le lendemain des pièces, et Chimène elle-même, depuis qu’elle a épousé Rodrigue, a dû plus d’une fois lui reprocher avec aigreur d’avoir tué son père. Mais laissons l’avenir. Le présent même, dans Musotte, ne nous satisfait qu’à moitié. La pièce est tirée, comme on sait, d’une nouvelle de M. de Maupassant : l’Enfant. Tirée, hélas ! en longueur. Quinze pages délayées en trois actes. Et alors toute l’essence du récit s’est pour ainsi dire étendue d’eau; plus de parfum ni de saveur. Ce berceau porté près du lit nuptial, ce voisinage qui déplaît et qui choque, le romancier du moins nous l’impose vivement et par surprise. La nouvelle est si enlevée, que nous n’avons pas le temps de nous reconnaître, de nous refuser, de nous défendre seulement. Lisez plutôt la dernière page:


« Toutes les femmes furent debout d’un bond, et Berthe, la première, s’élança, malgré sa mère et ses tantes, enveloppée de son peignoir de nuit.

« Jacques, debout au milieu de la chambre, livide, haletant, tenait un enfant dans ses bras.