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nouveau ministre de la guerre, M. de Ségur, qui avait remplacé M. de Montbarrey, annonçait à La Fayette que le roi le nommait « maréchal de camp de ses armées ; » et le nom de Royal-Auvergne était donné au régiment du Gâtinais, qui était monté le premier à l’assaut de la redoute de Yorktown. Mais un témoignage plus flatteur encore d’estime et d’approbation lui était venu de la part de l’homme d’État intelligent qui avait conduit avec autant de prudence que de fermeté la politique française durant la guerre de l’indépendance des États-Unis. Le 1er décembre 1781, M. de Vergennes écrivait à La Fayette[1] :

« Je réponds, monsieur le marquis, pour M. le comte de Maurepas et pour moi, aux deux lettres dont vous nous avez honorés les 24 août, 20 et 24 octobre. Ce n’est pas sans beaucoup de regret que vous apprendrez la perte que nous avons faite de cet excellent homme. C’est un bien bon ami que vous avez perdu, je puis en parler savamment : j’étais le dépositaire de ses sentimens pour vous et je suis en droit de vous assurer qu’ils ne différaient pas de ceux que je vous ai voués.

« M. de Maurepas vivait encore lorsque M. le duc de Lauzun est arrivé. Il a joui un moment de la satisfaction que nous ont causée les événemens glorieux qu’il venait nous annoncer. La joie en est bien vive, ici et dans toute la nation, et vous pouvez être assuré que votre nom y est en vénération. On reconnaît avec plaisir que, quoique vous n’ayez pas eu la direction en chef de cette grande opération, votre conduite prudente et vos manœuvres préliminaires en avaient préparé le succès. Je vous ai suivi pas à pas, monsieur le marquis, dans toute votre campagne en Virginie ; j’aurais souvent tremblé pour vous, si je n’avais été rassuré par votre sagesse. Il faut bien de l’habileté pour s’être soutenu, comme vous l’avez fait si longtemps, devant le lord Cornwallis, dont on loue les talens pour la guerre, malgré l’extrême disproportion de vos forces. C’est vous qui l’avez conduit au terme fatal, où, au lieu de vous faire prisonnier de guerre, comme il pouvait en avoir le projet, vous l’avez mis dans la nécessité de se rendre lui-même.

« L’histoire offre peu d’exemples d’un succès aussi complet ; mais on se trompera, si on croit qu’il fixe l’époque d’une paix imminente. Il n’est pas dans le caractère des Anglais de se rendre aussi facilement. Attendez-vous à de plus grands efforts de leur part pour reprendre le terrain qu’ils ont perdu et même pour l’étendre, si la chose est possible, et elle le deviendrait si le pays que vous habitez, se reposant dans une funeste sécurité, ne se prête pas à la nécessité de multiplier ses efforts. Ce que j’entends de l’état de

  1. Archives des États-Unis, p. 12, publiées par M. Doniol, t. IV.