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premier moment on put croire que cet heureux effet serait, au moins en partie, obtenu. « Il serait difficile, écrivait le chargé d’affaires de France, d’exprimer à quel point la consternation a pris ici la place de cette prétendue sécurité, de cette maligne joie à laquelle on se livrait, et que le stathouder lui-même accréditait... Le stathouder n’est rien moins que tranquille, et, malgré la dissimulation dont il est capable, il ne peut cacher son inquiétude et l’embarras où il se trouve. Il se crut perdu sans ressource lorsqu’il vint ici hier, de sa maison des bois, pour assister au conseil d’État qu’il avait convoqué extraordinairement. Il se vit pressé et arrêté dans son carrosse par un peuple nombreux, la douleur peinte sur le visage, qui lui demanda ce qui était de la nouvelle qui courait. Il répondit sur-le-champ qu’il n’était que trop vrai que Berg-op-Zoom était pris, mais que la garnison était sauvée et qu’il n’y avait rien à craindre de cet événement. Je ne sais s’il lui réussira toujours à en imposer de la sorte[1]... »

Il eût peut-être mieux valu qu’il y réussît, car, dès que l’horrible vérité fut connue, l’abattement et la douleur firent place, dans cette multitude toujours en effervescence, à une véritable fureur. Les Français ne furent plus que des bourreaux couverts de sang et des bandits gorgés de pillages dont, à tout prix, il fallait faire justice. Dans cette fermentation générale, qui eût prononcé le mot de paix eût payé ce propos de sa tête. Puis, suivant l’usage, quand, les imaginations sont en feu, on ne vit plus partout que des coupables et des complices à punir : d’abord, tous ceux qui, de près ou de loin, touchaient à la nation maudite, puis les catholiques suspects de faire des vœux pour leurs coreligionnaires, enfin les partisans et les fonctionnaires du gouvernement déchu, accusés d’avoir sous main pactisé avec l’ennemi. Le gouverneur de Berg-op-Zoom n’était qu’un traître qui s’était laissé corrompre. On ne parlait plus que de supplices et de vengeance. A Amsterdam, à Harlem, à La Haye, des maisons réputées suspectes furent forcées et mises à sac. L’envoyé de France dut armer ses gens et se mettre en défense pour garder l’entrée de sa demeure et de sa chapelle. « Je ne puis comparer, écrivait un témoin, le peuple de ce pays qu’à celui de Jérusalem pendant le dernier siège qui a suivi sa destruction... On entend crier dans les rues : Vive le prince d’Orange! Au diable le roi de France! Point de paix ni de neutralité avec lui! Ce qui est encore pis, s’ils vous rencontrent dans la rue et que vous ne criiez pas comme eux, ils vous y forcent, surtout

  1. Chiquet. à Puisieulx, 13 septembre 1747. (Correspondance de Hollande. — Ministère des affaires étrangères.)