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et que M. de Ligonier m’envoie trois paires de lunettes, vous voulez bien que je vous en envoie une, quoique assurément vous n’en ayez pas besoin ; mais, comme on dit ; un peu d’aide ne fait pas de mal. »

Quoi qu’en pût dire Maurice, on ne voit bien que quand on veut regarder, et, quelque désobligeant que fût le procédé du gouvernement anglais, la fatigue et l’ennui régnaient à tel point dans les conseils de Louis XV, que la mauvaise grâce ne fut pas ressentie autant que la dignité peut-être l’aurait exigé. On se persuada que l’arrivée d’un plénipotentiaire anglais à l’armée, au lieu de fermer la porte à une entente directe, pouvait la rendre plus régulière et plus efficace, et laissant de côté la pensée, qui avait paru séduisante, de négocier avec des ambassadeurs qui avaient le sabre au côté, ce fut Puisieulx qui demanda un rendez-vous à Sandwich pour s’aboucher avec lui sans intermédiaire. L’entrevue, assez difficile à organiser, dut avoir lieu à Liège le 11 septembre.

Mais le secret en avait été si mal gardé qu’avant la date fixée, les ministres d’Autriche et de Sardaigne s’étaient rendus, eux aussi, à l’armée, de leurs personnes, et ne laissèrent partir l’envoyé anglais qu’après lui avoir fait la leçon de point en point et lui avoir fait promettre qu’il ne ferait aucune concession dont ils ne fussent convenus d’avance ou sur laquelle leur consentement n’eût été expressément réservé. Dans de telles conditions, rien ne pouvait aboutir et ce ne devait être (comme le disait Frédéric, qui lui aussi était mis, même de Berlin, dans la confidence par le bruit public) que du papier perdu. Effectivement, Puisieulx, s’apercevant tout de suite que Sandwich n’était en mesure de rien accorder, n’eut garde, de son côté, de lui rien proposer, et le débat se prolongea plusieurs heures durant sans avancer,, en tournant, en quelque sorte, autour des points déjà tant de fois débattus. A deux reprises, seulement, Puisieulx parut sortir de la modération habituelle de son tempérament : impatienté de ne pouvoir obtenir une réponse précise sur la restitution du cap Breton et de Louisbourg, proposée en échange des conquêtes françaises en Flandre : — « Eh bien! qu’à cela ne tienne, s’écria-t-il, gardez Louisbourg et nous gardons les Pays-Bas. Voulez-vous que je signe l’échange ici même et tout à l’heure? » — Une autre fois Sandwich ayant insisté sur le bannissement du prétendant comme sur une condition sine qua non de tout arrangement : — « Ce serait bien fort, dit-il, et une grande humiliation pour le roi ; et, si nous le subissions, ce serait bien le moins qu’on ne nous parlât plus de Dunkerque. » — Si ce ton de menace avait été pris au sérieux, peut-être la conversation