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mobile qui accompagne ou détermine ce rapprochement de manière à le rendre irrésistible ; et ce mobile, c’est l’amour.

Sa puissance est extraordinaire, tout aussi efficace que le besoin de respirer ou le besoin de manger. Nous ne parlons certes pas ici de l’homme, dont les instincts et les passions naturelles sont masqués par la civilisation, mais bien des animaux à l’état sauvage, qui, grands ou petits, faibles ou forts, stupides ou intelligens, subissent tous la passion amoureuse.

D’abord il s’agit de se trouver. Or, quand le nombre des individus est rare, comme, par exemple, pour certaines espèces d’insectes, êtres minuscules égarés dans d’immenses forêts, cette recherche n’est pas toujours facile. Mais la Nature y a pourvu. Tantôt c’est par l’odeur : l’odeur pénétrante qui émane de certains papillons ou de certains scarabées se répand à de grandes distances. Tantôt c’est par le bruit : certaines vibrations des élytres produisent des sous qui s’entendent au loin. Tantôt c’est par la lumière, comme ces vers luisans femelles dont la lueur, brillant au milieu de l’herbe, va attirer le mâle. Tantôt c’est par des sens spéciaux que nous connaissons mal, et qui permettent aux individus de sexe différent de se rencontrer, malgré les obstacles et les périls de toute sorte qui se dressent entre eux.

Chez les invertébrés, chez les insectes, chez les vertébrés inférieurs, cette recherche de la femelle par le mâle est instinctive, et il n’est pas permis d’y voir trace d’intelligence.

C’est l’instinct qui les guide, et chaque individu se comporte exactement de la même manière que tous les individus de son espèce. Nulle variété dans les actes : même démarche, mêmes allures, mêmes appétits, mêmes moyens d’y satisfaire. C’est l’aveugle et fatal instinct. Mâles et femelles accomplissent leur œuvre sans se rendre compte de ce qu’ils font, sans pouvoir modifier quoi que ce soit à ce que leurs ancêtres ont fait depuis des milliers de générations. Qui a vu un hanneton en a vu mille, ou un million, ou un milliard. Nul d’entre eux n’a une dose d’intelligence suffisante pour changer quoi que ce soit au plan qui lui a été tracé par avance.

Mais peu à peu, chez les reptiles, chez les oiseaux, et surtout chez les mammifères, l’intelligence apparaît, et, avec l’intelligence, l’amour; puisque c’est ainsi qu’il faut appeler la recherche voulue et consciente des sexes l’un pour l’autre. Cette recherche, cette poursuite, si l’on veut, diversifiée de mille manières, est une des plus curieuses études que puisse aborder le naturaliste ou le psychologue.

Nous disions dans cette même Revue[1], en parlant de la lutte

  1. Le Roi des animaux, 1883, p. 813.