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président de la république : « Père puissant, quand nous avons cédé les Black-Hills, tu as dit, dans le traité, que nous aurions trois livres de bœuf par jour, c’est-à-dire trois livres à chacun. On ne nous les donne pas. Nous mourons de faim et nous te supplions de tenir ta promesse. Pour trente hommes, on nous donne un bœuf, et cela pour dix-huit jours. Si tu ne nous crois pas, envoie quelqu’un ici et aussi de quoi nous rendre près de toi : notre chef et cinq de nous iront et te diront ce qu’il en est. Si tu refuses notre requête, à tout le moins donne-nous un officier pour agent. » Et l’inspecteur chargé de faire une enquête sur les faits déclara « qu’en un seul mois, les rations de bœuf ont été diminuées de deux millions de livres[1]. »

Un autre écrit : « Les rations pour la réserve de Rosebud ont été, cette année, réduites de 1,500,000 livres ; un soulèvement est à craindre. Un missionnaire m’informe que l’exaltation religieuse qu’on signale parmi les Indiens est due, en réalité, à la faim. Est-il vrai que les réductions de rations soient ordonnées par le bureau des affaires indiennes ? On prétend que, prévoyant le retour des démocrates au pouvoir, il entend laisser à la charge de la prochaine administration la demande d’un crédit pour parer au déficit. » Les Sioux, écrit un autre, « savent que le général Crook, leur vainqueur dans la dernière guerre, mais aussi leur ami et leur médiateur après la guerre, est mort. Ils voient le traité inexécuté, leurs rations réduites, et, autour d’eux, les fermiers prospères sur les terres qu’ils ont cédées, alors qu’eux-mêmes souffrent du froid et de la faim sur leurs réserves ; mais ils savent aussi qu’ils tiennent dans leurs mains la vie de milliers de colons, hommes, femmes et enfans. Ils ont des armes et des chevaux ; ils ont les 1,500 carabines Remington que l’astucieux Sitting-Bull a gardées en 1881. Il prévoyait déjà qu’un jour ou l’autre il en aurait l’emploi[2].

Incurie de l’administration, lenteur du congrès à voter les fonds pour le paiement des terres, concussions des agens, conspiraient, avec la misère et le froid, à rendre intenable la situation des Sioux parqués dans les réserves du Dakota. Celle des Indiens des réserves de Sisseton était aussi désespérée. Le rapport des délégués constatait l’épuisement des crédits ; l’une d’elles n’avait de disponible que 2,000 dollars pour pourvoir à la subsistance de 1,200 Indiens pendant six mois d’un hiver qui s’annonçait rigoureux, soit moins d’un sou par tête et par jour.

  1. Evidence before committee of Indian affairs and Indian frauds
  2. New-York Herald, 24 décembre 1890. »