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montrer que ces deux formes de dédoublement sont réductibles l’une à l’autre, et que la personnalité seconde de l’état de veille ne fait qu’un avec la personnalité qui se développe pendant les somnambulismes. Voici d’abord une expérience bien intéressante de M. Gurney. On a dit un nom, cité un fait, prononcé une phrase devant la personne mise en somnambulisme ; puis on la réveille, on l’interroge et on constate qu’elle ne se souvient de rien. Mais si on met une plume dans sa main et qu’on attire son attention ailleurs, la main va écrire automatiquement le mot prononcé pendant le somnambulisme. La personnalité seconde, qui existe à l’état de veille, et qui dirige les mouvemens de cette main, est donc au courant de ce qui s’est passé pendant le somnambulisme.

M. Pierre Janet a imaginé un autre genre d’expérience qui est la contre-épreuve de celle de M. Gurney. Au lieu de chercher à retrouver pendant la veille un souvenir somnambulique, il a cherché à réveiller pendant le somnambulisme un souvenir appartenant à la personnalité seconde de l’état de veille. Nous avons dit déjà, — mais nous le répétons, pour être plus clair, — que lorsqu’on fait écrire un mot à la main insensible, cachée derrière l’écran, ou qu’on adresse une suggestion au sujet éveillé, après l’avoir distrait, il n’a conscience d’aucun de ces faits ; il ne sait ni quel mot on lui a fait écrire, ni quelle suggestion on lui a donnée. Eh bien, il suffit de le placer en somnambulisme et de l’interroger sur ces différens points pour constater, dans certains cas, que le souvenir est bien présent ; c’est la preuve que la personne à laquelle on parle pendant le somnambulisme est la même qui, pendant la veille, perçoit les mouvemens de la main, en apparence insensible, et entend la suggestion murmurée à voix basse.

Arrivés à ce point de notre étude, nous sommes devenus capables de comprendre les observations telles que celles de M. Azam, de M. Dufay, qui ont passé, jusque dans ces derniers temps, pour de véritables curiosités psychologiques ; elles ne doivent nous apparaître maintenant que comme le grossissement d’un phénomène banal. En effet, le somnambulisme, que nous avons appris à provoquer artificiellement dans nos laboratoires, peut se manifester parfois spontanément, c’est-à-dire en dehors de l’intervention d’une personne ; le sujet, en entrant dans cette seconde existence, présente les modifications mentales que nous avons déjà décrites ; sa sensibilité et surtout sa mémoire peuvent se modifier ; en un mot, une personnalité nouvelle se manifeste ; et quand ce même sujet sera revenu à sa condition première, il ne pourra rien dire de ce qu’il a vu et fait dans sa condition seconde, quoique celle-ci ait pu durer des jours, des mois et même des années. Or, l’état que