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ses condisciples avaient moins pâti que lui dans cette geôle, et que, s’il lui fallait sept heures pour faire ses devoirs, c’est sans doute qu’il travaillait avec plus de distraction ou plus de conscience qu’un autre. « Je puis dire en connaissance de cause, a-t-il ajouté, que même à Cassel où nous avions, grâce à l’intervention de ma mère, une belle salle de classe, avec une bonne lumière d’un seul côté et une ventilation satisfaisante, sur vingt et un élèves, dix-huit portaient des lunettes, et que, dans le nombre, il en était deux, qui, même avec leurs lunettes, ne voyaient pas jusqu’au tableau. » N’y a-t-il pas là encore quelque exagération? « Qu’on songe à la jeunesse qui s’élève pour la défense du pays! Je cherche des soldats. Cette quantité de myopes, à quoi nous seront-ils bons? Moi souverain et père public de ce pays, je déclare que cette situation ne peut se prolonger. Messieurs, les hommes ne doivent pas voir le monde à travers des lunettes, mais avec leurs yeux, et trouver plaisir à ce qui est devant eux, à leur patrie et à ses institutions. » Cela est bien dit; mais, hélas ! ce ne sont pas seulement les myopes qui regardent le monde à travers leurs lunettes; empereurs ou bourgeois, chacun a les siennes, et quelquefois elles sont troubles ou nous les mettons de travers.

Voici qui est plus grave. Passe encore si on devenait myope en apprenant des choses utiles ! Mais on use ses yeux sur des versions grecques et des discours latins. « A bas la composition latine ! Elle nous gêne et nous fait perdre notre temps. Il faut que nous abandonnions l’ancienne éducation monastique du moyen âge, où le latin était enseigné avec un peu de grec. Celui qui a été lui-même au collège sait où cela cloche. Ce qui manque surtout, c’est une base nationale. Nous devons élever des jeunes Allemands et non des jeunes Grecs et Romains. »

L’Allemagne a toujours été le pays de la pédagogie, le pays où l’on a le plus médité sur le but de l’enseignement et sur le choix des méthodes. Si le respect n’avait enchaîné les langues, tel membre de la commission consultative aurait représenté sans doute à son souverain que les humanités sont destinées à faire des hommes et que l’Allemand lui-même doit être un homme, qu’il faut être sorti de soi pour arriver à se connaître, qu’il faut s’être donné pour se posséder, qu’on n’acquiert le vrai sentiment de soi-même que par les comparaisons, que, pour avoir une idée juste de son pays et de sa maison, il est bon de voyager, et que les études classiques font faire aux esprits les plus beaux voyages du monde, qu’au surplus les anciens sont les meilleurs maîtres de la jeunesse, étant plus simples que nous et plus près de la nature, qu’on trouve dans leurs œuvres une sagesse plus accessible aux jeunes intelligences et la divine fraîcheur des choses vues, senties et dites pour la première fois, que l’eau de source puisée au pied du rocher est une boisson plus salubre que l’eau troublée des fleuves. Il