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et la volonté libre du délinquant. Personne n’a déployé plus de ressources et dépensé plus d’efforts pour saper ce fondement des législations pénales actuelles que M. Ferri, professeur à l’Université de Rome, dans son grand ouvrage sur l’Imputabilité. La pensée fondamentale du livre est inscrite à la première page : « Le principe essentiel de l’ordre moral, tel qu’il est établi par les nouvelles doctrines, c’est la négation du libre arbitre, » et la première partie du livre, intitulée la Questione del liber arbitrio, qui ne compte pas moins de 460 pages, n’est que le développement de cette proposition. Il n’y a pas un criminaliste qui puisse, aujourd’hui, se dispenser de lire les chapitres intitulés : la négation du libre arbitre et l’ordre social ; la négation du libre arbitre et le droit pénal ; la négation du libre arbitre et la science criminelle. La teorica dell’ imputabilita ne date que de douze ans, et les anthropologues italiens ou leurs émules considèrent la question comme tranchée ; l’ancienne théorie du libre arbitre est un mensonge puéril qu’il convient à peine de réfuter : elle a décidément fait place à la théorie du causalisme, ou, pour parler moins obscurément, du fatalisme scientifique. On le vit bien à Rome, en 1885, dans la séance finale du congrès international. M. Righi ayant osé prendre parti pour la Liberté, le professeur Moleschott lui répondit dédaigneusement : « Le préopinant nous dit qu’il se sent fibre ; sa déclaration a la même valeur que s’il avait dit : c’est le soleil qui se lève, car je le vois… Pour moi, la question est résolue et elle est la base de nos travaux. » Le procès-verbal porte aussitôt : Applaudissemens très vifs ; presque tous les membres du congrès présens vont serrer la main à l’orateur. Ce serait donc outrager les anthropologues que de les supposer capables de faire grâce à la liberté humaine. Mais, comme tout l’ordre moral et tout l’ordre social reposent encore, dans l’univers entier, sur cette prétendue chimère, il importe d’examiner comment on s’y prend pour la remplacer.


I.

Le crime s’expliquerait par les influences héréditaires. Telle est, dans l’ordre logique, la première conception de l’anthropologie criminelle. Pour éviter toute équivoque, il importe de s’accorder, sans autre délai, sur la portée des expressions qui vont être employées. Lorsque les maîtres de la nouvelle école parlent de la science et du mouvement scientifique, ils attachent, en général, à ces mots un sens étroit ; il ne s’agit guère que des sciences médicales,