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suggestion et de son rôle dans l’éducation. M. Guyau avait été le premier, croyons-nous, à signaler jadis l’analogie profonde de la suggestion et de l’instinct, ainsi que l’application possible de la suggestion à la thérapeutique morale, « comme correctif d’instincts anormaux ou stimulant d’instincts normaux trop faibles[1]. » — « Toute suggestion, avait-il écrit, est un instinct à l’état naissant créé de toutes pièces par l’hypnotiseur. » Depuis cette remarque, les résultats thérapeutiques de la suggestion ont été nombreux et importons. Les docteurs Voisin et Liégeois ont guéri par suggestion le délire mélancolique, la dipsomanie, la morphinomanie, l’ivrognerie et l’abus du tabac. M. Delbœuf dit avoir rendu courageuse une fille poltronne. M. Voisin a transformé le caractère d’une femme voleuse et paresseuse ; il a aussi transformé, prétend-il, une femme dont le caractère était insupportable eu épouse affectueuse et douce, — moyen dont Socrate eut pu faire grand cas. Enfin, M. Liébault, de Nancy, a rendu laborieux, pendant six mois, un enfant d’une incorrigible paresse. Il va de soi que M. Guyau ne conseille pas et même blâme expressément toute introduction de l’hypnotisme dans l’éducation normale : il vaut beaucoup mieux, dit-il, « laisser un enfant dans la paresse que de le rendre névropathe. » Si donc il cite ces faits pathologiques, c’est pour en tirer des conséquences relativement à l’état normal. La suggestion hypnotique n’est, selon lui, que l’exagération maladive et le grossissement artificiel de phénomènes suggestifs qui se produisent dans l’état de parfaite santé. La suggestion normale, qui seule trouve place dans l’éducation, est psychologique, morale et sociale : elle consiste dans une transmission d’idées ou de sentimens impulsifs d’un individu à l’autre et dans la possibilité de rendre fixes ces idées ou sentimens. Nous ne sommes pas, à l’état normal, sous la puissance d’un magnétiseur déterminé ; mais il ne s’ensuit pas que nous ne soyons point « accessibles à une infinité de petites suggestions, tantôt se contrariant, tantôt s’accumulant et produisant un effet moyen très sensible. » Les enfans, en particulier, sont ouverts à toutes les suggestions du milieu. M. Guyau montre que l’état de l’enfant, au moment où il entre au monde, est comparable à celui d’un hypnotisé. Même absence d’idées propres ou même domination d’une seule idée. « Tout ce que l’enfant va sentir ou voir sera donc une suggestion ; cette suggestion donnera lieu à une habitude qui pourra parfois se propager pendant la vie entière, comme on voit se perpétuer certaines impressions de terreur inculquées aux enfans par les nourrices. » Si l’introduction de

  1. Voir Revue philosophique, 1883.