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disaient les clercs, devant protection à l’Église ; l’Église, disaient les laïques, devant obéissance à l’Etat. C’est dans cet esprit que furent rédigés les articles organiques, sur lesquels on a tant glosé, qui se bornaient à reproduire, en somme, la charte de servitude que le trône avait fait peser sur l’autel durant la monarchie absolue, sans la compensation de l’intolérance officielle de l’État en matière religieuse, que l’Église payait cher, mais qui rachetait à ses yeux bien des choses.

Nous autres, hommes de la fin du XIXe siècle, qui n’avons connu ni l’ancien régime, ni la révolution, nous avons quelque peine à nous figurer le concept bizarre que des personnages qui avaient vécu sous Louis XV et qui venaient de traverser la terreur pouvaient se faire des rapports qu’une convention nouvelle allait inaugurer, entre le spirituel et le temporel, l’état d’âme créé par le mélange d’anciennes habitudes juridiques, de souvenirs à demi effacés et de préventions récentes, chez ces jacobins et ces prêtres réfractaires qui discutaient le pacte et se préparaient à le pratiquer. Il est très certain que ni les uns ni les autres ne mesurèrent, tout d’abord, l’immensité du fossé que les principes de 1789 avaient creusé, à cet égard comme à tous les autres, entre la France dont on clouait le cercueil et celle dont on fabriquait le berceau. C’est un phénomène assez fréquent dans l’histoire de la marche des idées, des idées politiques surtout, que celui d’hommes qui formulent un axiome sous l’influence de la raison et qui s’en écartent sous l’influence de la tradition. Témoins des abus et du désordre que l’inextricable enchevêtrement du civil et du clérical causait dans la gestion des affaires publiques, soucieux de prévenir à tout jamais le retour de luttes religieuses dont la mémoire était demeurée fraîche, les débutans de la révolution avaient commencé par proclamer la liberté de conscience la plus large, la séparation la plus complète des deux domaines ecclésiastique et laïque, et, violant presque aussitôt la règle qu’ils venaient de tracer, ils avaient légiféré à outrance sur la matière. Pour comble d’inconséquence, leur législation ne fut qu’une persécution vis-à-vis du catholicisme, persécution semblable à celle que le catholicisme avait infligée, un siècle avant, dans le même pays, au protestantisme, mais plus cruelle encore : en 1685, on exilait, on dépouillait, on envoyait au bagne les pasteurs réfractaires ; en 1793, on y ajoutait la guillotine pour les prêtres récalcitrans. Pourtant le bas clergé, en se joignant au tiers dans la salle du Jeu de Paume, avait contribué au succès de la cause révolutionnaire. En province, il s’était montré très favorable aux idées nouvelles. Un brave curé de campagne du Berry peint, avec un laconisme naïf, cet enthousiasme et la déception qui le suivit dans les notes d’un journal privé, échoué plus tard aux