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d’officier et de commandeur du même ordre[1] ; mais, à tort ou à raison, il n’avait pas voulu que les récompenses décernées par lui aux artistes pussent jamais dépasser la mesure de ces distinctions toutes viagères, et qu’un titre transmissible consacrât dans l’avenir le souvenir de leurs talens, comme le titre qu’il conférait à d’autres devait perpétuer la mémoire de grands services militaires ou même de services rendus dans l’ordre purement administratif. N’y avait-il pas là en réalité une inconséquence, une sorte de démenti pratique à la pensée qu’avait eue Napoléon lui-même en instituant la Légion d’honneur, et en créant un peu plus tard, à côté de l’ancienne noblesse, cette noblesse impériale dans les rangs de laquelle les représentans de tous les genres de mérite devaient également entrer ?

Quoi qu’il en soit, le gouvernement de la restauration n’avait pas jugé à propos de maintenir, à l’égard des membres de l’Académie des Beaux-Arts, ce principe d’inaptitude légale à recueillir pour leur propre compte ce qu’il avait paru juste d’attribuer à d’autres membres de l’Institut. Dès l’année 1819, Louis XVIII accordait à Gérard, outre le brevet de « premier peintre du roi » qu’il lui avait antérieurement donné, le titre de baron. Cinq ans plus tard, Gros recevait le même titre (1824)[2], et, dans le cours des cinq années suivantes, Charles X le conférait successivement à cinq autres académiciens, dont deux peintres, — Guérin et Regnault ; deux sculpteurs, Lemot et Bosio ; un graveur en taille-douce, Boucher-Desnoyers. D’où vient, toutefois, qu’aucun architecte, aucun compositeur de musique n’ait été, à cette époque, traité avec la même faveur ? que Percier, par exemple, que Cherubini ou Boïeldieu se soient vus exceptés d’une mesure destinée apparemment à récompenser les plus dignes ? Cela semble d’autant moins explicable que le crédit de ces trois maîtres était plus grand auprès du public et que les fonctions remplies par deux d’entre eux avaient

  1. Quelques biographes de David ont prétendu que l’empereur lui avait conféré, pendant les Cent-Jours, le titre de baron et que cette nomination fut annulée par le gouvernement de la Restauration. M. Jules David, petit-fils du peintre, et, par conséquent, mieux placé que personne pour être renseigné à ce sujet, déclare que « rien dans ses recherches n’est venu confirmer cette double assertion. » (Voyez le Peintre Louis David, p. 516.)
  2. A l’occasion des peintures récemment achevées de la coupole de Sainte-Geneviève. Quatremère de Quincy rapporte le fait en ces termes dans sa Notice sur Gros, lue à l’Académie en 1836 : « Le roi (Charles X) voulut voir de près le travail et il consentit à monter à une hauteur de près de trois cents pieds. Après s’être fait expliquer par l’artiste l’ensemble de l’ouvrage et avoir parcouru les détails de la composition : « Monsieur le baron, lui dit-il en le quittant, recevez mes félicitations et mes remercîmens. » Et Quatremère de Quincy ajoute : « Peu de titres de noblesse ont été en ce genre acquis par plus de mérite et conférés avec plus de grâce. »