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pourrait affecter à la suppression des droits d’exportation et au dégrèvement des énormes taxes terriennes. Ce plan paraît bien conçu, dût le droit nouveau être réduit à 20 ou 25 pour 100 de la valeur, au lieu du taux un peu excessif de 30 pour 100 que propose notre auteur.

La question du régime à faire aux étrangers est plus délicate. Il est incontestable que le Japon, s’il veut développer ses ressources, doit rester moins fermé qu’il ne l’est aujourd’hui aux Européens. D’autre part, on s’exposerait à une perturbation trop violente et que ne supporterait pas le sentiment national, si l’on accordait aux étrangers, qui ne sont pas uniquement les Européens et les Américains, mais aussi les Chinois, une pleine liberté de circulation, de domicile et le droit de posséder le sol. Que le Japon prenne des précautions pour empêcher qu’une grande quantité de ses terres ne soient achetées par des hommes d’une autre race, pour éviter chez lui une sorte de dépossession ou de subordination, aucun esprit réfléchi n’y pourra contredire. Entre la quasi-fermeture actuelle, la localisation de l’élément étranger sur cinq points, et la liberté absolue de voyager, de s’établir et d’acquérir, il y a bien des degrés. On pourrait recourir à un système de passeports, comme celui qui existait naguère dans tous les États d’Europe, et qui procurerait quelques ressources au trésor japonais ; on pourrait limiter à quinze ou vingt le nombre des villes où les étrangers pourraient résider de plein droit ; on pourrait exiger une autorisation gouvernementale pour l’achat de propriétés et ne donner cette autorisation que dans des cas vraiment utiles, comme celui d’installation d’industries ; être plus large, au contraire, pour les simples locations. Le Japon, non-seulement sur les côtes et dans quelques grandes villes, mais dans l’intérieur, pour la mise en valeur de ses mines, de ses forêts, pour la création d’industries, a besoin d’un certain afflux d’intelligens et entreprenans étrangers. S’il les repousse, il est à craindre que ses récens efforts n’aboutissent qu’à une pâle copie de la civilisation européenne.

Nous comprenons, néanmoins, que la perspective d’un changement soudain, profond, non-seulement dans l’ordre matériel, mais aussi dans les mœurs et les habitudes sociales, ait exaspéré quelques fanatiques comme celui qui tenta d’assassiner le comte Okouma, qu’elle entretienne encore aujourd’hui les appréhensions populaires, qu’elle suggère même à des hommes aussi éclairés, aussi imprégnés de lecture européenne et de civilisation américaine que l’est M. Yeijiro Ono, quelques réflexions d’une cruelle anxiété.

C’est une terrible crise de croissance que celle qui fait parcourir en vingt ans à un peuple d’Orient toutes les étapes politiques et