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aimable, de plus pompeux que ses dogmes, sa doctrine et son culte. On devait dire qu’elle favorise le génie, épure le goût, développe les passions vertueuses, offre des formes nobles à l’écrivain et des moules parfaits à l’artiste, enfin qu’il n’y a point de honte à croire avec Newton et Bossuet, Pascal et Bacino. »

On voit clairement par ce passage que Chateaubriand n’a pas poursuivi un seul instant un objet théologique, ce qui eût été en dehors de sa compétence. Il ne s’est pas donné le rôle d’un père de l’église. Il a seulement voulu faciliter et orner les abords du christianisme, le représenter à un point de vue plus ou moins profane, mais qui le fasse aimer et qui en fasse ressortir le charme et la grandeur. C’est ce qu’exprimait du reste très clairement le second titre de l’ouvrage : Beautés de la religion chrétienne.

C’est cependant sur ce point que portaient toutes les critiques, soit des journalistes, soit des académiciens.

Daru, par exemple, demande comment on peut croire que l’intérêt de la poésie a été l’objet de l’institution du christianisme. Il raisonne contre Chateaubriand comme si celui-ci eût dit que Jésus-Christ, en fondant la religion chrétienne, avait eu pour but de préparer de belles matières aux poètes futurs, et il constate que c’est considérer le christianisme sous de frivoles rapports. Ginguené, dans la Décade, fait à peu de choses près la même objection. Il pose le dilemme suivant : Ou ce livre est un ouvrage dogmatique, ou c’est un ouvrage de littérature. Si c’est un traité dogmatique, l’ouvrage est plein d’images profanes que la religion elle-même proscrirait. Si c’est une poétique, la partie dogmatique est inutile, et les avantages que la poésie peut trouver dans tel ou tel culte ne prouvent rien en faveur de sa vérité. Morellet, dans son opinion à l’Académie, parle à peu près dans le même sens.

Il est piquant de voir les philosophes, les libres penseurs, les héritiers du XVIIIe siècle, enfin les adversaires du christianisme s’armer de l’autorité chrétienne pour reprocher à un laïque de représenter le christianisme sous des aspects frivoles, comme s’ils étaient chargés de prendre en main les intérêts de la religion contre un défenseur trop mondain. Il paraît cependant que des objections du même genre avaient été faites par des personnes pieuses et chrétiennes qui avaient été un peu effrayées et scandalisées de voir le christianisme ainsi défendu. Dans un article consacré à l’éloge du Génie du christianisme, l’abbé de Boulogne fait allusion à ces doutes et à ces scrupules, qui n’étaient pas sans quelque fondement. « Plusieurs personnes religieuses, dit-il, se sont effarouchées de cette manière de présenter le christianisme. Elles ont craint que son auguste majesté n’en fût blessée, que l’autorité