Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 98.djvu/334

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

grands désastres qu’elle eût jamais subis. Ramillies n’était ; qu’à quelques lieues du camp de Maurice ; on conçoit ce que ce souvenir ajoutait à la solennité de ce moment critique.

Conti ne se pressa nullement de se rendre à l’appel. Mons à peine soumis, il avait mis le siège devant Charleroi et ne se souciait pas de l’interrompre. Il se borna à détacher un de ses lieutenans, le comte d’Estrées, avec douze bataillons et dix escadrons et à l’envoyer à la rencontre du maréchal, pour l’appuyer s’il était besoin. Mais quelle ne fut pas la surprise du maréchal lorsque, à la première réquisition qu’il adressa, le comte d’Estrées exhiba une instruction du prince de Conti lui interdisant d’agir, à moins qu’il n’en eût reçu de lui l’ordre positif. L’indignation du maréchal devant cet acte de véritable trahison fut extrême et il l’exprima au ministre de la guerre dans les termes les plus vifs. — « Voilà, disait-il, une chose qui mérite toute l’attention du roi et la vôtre… Vous verrez, par la lettre de M. le prince de Conti, que si les ennemis venaient pour m’attaquer (ce qui peut arriver d’un moment à, l’autre), M. d’Estrées serait obligé de rester spectateur du combat, à moins qu’il n’eût obtenu la permission d’agir de M. le prince de Conti, qui reste à six grandes lieues d’ici… Cette conduite du prince est incompréhensible : je la cache avec grand soin à l’armée, afin que l’ennemi l’ignore… Je suis trop bon serviteur du roi pour rendre à M. le prince de Conti ce qu’il me fait. Je veux cependant lui en faire la peur ; en le menaçant de me retirer au camp de Louvain, » c’est-à-dire en le laissant seul en face de l’armée autrichienne, qui en aurait eu aisément raison. Ce n’était qu’une menace, et peut-être pas le meilleur moyen de rappeler à son devoir un prince d’un caractère hautain comme Conti, qui se borna à lui répondre, après quelques offres de concours toujours un peu vagues : — « Si vous voulez vous en aller à Louvain, il faut m’en avertir, pour que je sauve mon canon. » Mais le comte d’Argenson, averti de la querelle, s’en émut davantage. — « Sa Majesté, écrivit-il à Maurice, trouve bon que vous employiez toutes les troupes pour faire avorter les projets fastueux que les alliés ont annoncés dans toutes les cours d’Europe. C’est en le présentant sous cet aspect à M. le prince de Conti qu’elle ne doute pas que ce prince n’y concoure de toutes ses forces, en préférant à l’intérêt même du siège dont il est chargé celui d’en imposer à un ennemi présomptueux, qui ne devrait pas l’être devant vous. Vous pouvez donc vous adresser à lui avec confiance ; je connais trop son amour pour le roi et pour l’État pour être persuadé (sic) que la confiance qu’il aura dans la sagesse de vos avis sera plus puissante sur lui que la crainte d’une retraite sur Louvain, qu’il ne croira jamais que vous