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entendu ; et, depuis lors, notre diplomatie se débat vainement dans les boues du Nil, où l’a innocemment embourbée la plus forte majorité républicaine qu’ait abritée le Palais-Bourbon.

Un des côtés les plus défectueux de notre gouvernement, c’est, de l’aveu de tous, les fréquentes crises de cabinet. Cette instabilité ministérielle, nous sommes enclins à en rejeter la responsabilité sur l’opposition. N’y a-t-il pas, dans un pareil grief, presque autant de naïveté que de vérité ? Les gouvernemens parlementaires n’ont pas l’habitude de compter sur l’opposition pour les faire vivre. En votant contre les ministres, l’opposition est dans son rôle ; le remplit-elle trop bien, la faute en est au système autant qu’aux hommes. Sous le régime parlementaire, c’est aux majorités qu’appartiennent les ministres, et c’est aux majorités de les soutenir. On a vu, en d’autres pays, un gouvernement abandonné par une fraction de la majorité chercher à s’entendre avec la minorité. Quand pareil spectacle a-t-il été donné aux chambres de la république ? A la plupart des républicains, l’idée même en paraît criminelle. Une fois, durant la dernière législature, il s’est formé un ministère relativement modéré qui semblait pouvoir compter, sinon sur le concours, du moins sur la neutralité de la droite. Or, quel langage tenait le chef de ce cabinet ? M. Rouvier répétait, à chaque discussion, qu’il n’entendait gouverner qu’avec des républicains ; que le jour où, dans la majorité ministérielle, la gauche serait en minorité, le cabinet descendrait du pouvoir. La droite, ainsi officiellement excommuniée de la majorité gouvernementale, n’en a pas moins, durant des mois, donné ses voix au cabinet. Pour qu’elle contribuât à le renverser, il a fallu la tourmente de la crise présidentielle ; et, si grave que fût pareille crise pour l’avenir de la république, les hommes soucieux de l’honneur de la France ne sauraient faire un crime aux conservateurs d’avoir eu, eux aussi, la main dans cette exécution inconstitutionnelle. A tout le moins, il n’y a, aujourd’hui, à l’Elysée que des hôtes dignes des respects de tous.

Pour grands que soient les inconvéniens du peu de longévité des ministères, il en est un peu de l’instabilité ministérielle comme de l’obstruction. Quel en est le principal défaut ? D’entraver l’activité gouvernementale, de ralentir le fonctionnement de la machine légiférante ; mais, quand on songe aux projets de lois présentés par les cabinets des dernières années, il est malaisé de regretter les accrocs du mécanisme législatif. Il faudrait quelque hypocrisie à un conservateur, voire à un libéral, pour s’indigner de ce que M. Lockroy, M. Peytral, M. Viette, M. Ant. Proust, M. le général Thibaudin, n’aient pas eu le loisir d’achever leur œuvre. Les crises ministérielles jettent quelque trouble dans les administrations ;