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— « Vous ferez sentir à l’infant, ajoutait-il, que la nature du sacrifice que le roi fait à cette occasion et les hasards que Sa Majesté consent à faire courir à ses troupes, doivent le convaincre, ainsi que la cour d’Espagne, de la préférence qu’il donne à l’établissement de son gendre sur la sécurité de ses propres frontières. « Il était difficile, en effet, de mieux prouver l’envie de plaire et le besoin de se faire pardonner[1].

Tant de complaisance était bien faite pour trouver grâce, et l’accueil réservé à Noailles, par Leurs Majestés catholiques, fut en effet plus clément qu’on n’osait l’espérer. Philippe V eut le bon goût de traiter l’envoyé de Louis XV, non comme un ambassadeur chargé d’une mission délicate, mais comme un vieil ami, un compagnon d’armes des jours héroïques de sa jeunesse. La cour était à Aranjuez : des logemens à proximité du palais furent assignés au maréchal et à son fils, le comte de Noailles, brillant officier qui l’accompagnait en qualité de secrétaire. L’un et l’autre eurent ainsi la facilité d’être reçus sans cérémonie à toute heure. Charmé de ces bontés qui passaient son attente, le maréchal en exprimait dans sa première lettre à Louis XV une joie presque naïve. Il y passait en revue tous les membres de l’intérieur royal avec la bienveillance que donne la satisfaction de soi-même, et entrait sur chacun d’eux dans des détails d’une nature intime et presque familière, comme s’il n’eût pas été fâché de faire voir que le neveu de Mme de Maintenon et le beau-frère du comte de Toulouse savait se mettre, chez des descendans de Louis XIV, sur un pied de quasi-parenté. — « Je commencerai par dire à Votre Majesté, écrivait-il, que j’ai trouvé le roi d’Espagne si changé que je l’aurais à peine reconnu si je l’avais trouvé ailleurs que dans son palais. Il est grossi considérablement et m’a paru plus petit qu’il n’était, ayant beaucoup de peine à se tenir debout et à marcher, ce qui ne vient que du manque absolu d’exercice. A l’égard de l’esprit, il m’a paru le même : beaucoup de sens, répondant avec justesse et précision à ce qu’on lui dit, quand on lui parle d’affaires et qu’il veut bien s’en donner la peine. Il n’a rien oublié de tout ce qu’il a fait, vu et lu, il en parle avec le plus grand plaisir. Il n’y a pas un rendez-vous de chasse de la forêt de Fontainebleau dont il ne se souvienne. Il vous chérit, sire, et ne parle de vous qu’avec tendresse et le plus vif intérêt. Il n’y a personne ici qui ne dise à Votre Majesté qu’il est plus touché de vos succès en Flandre que de ceux de l’infant en Italie, et on peut dire avec vérité que ce prince a le cœur tout français. »

Ce n’était pas là absolument, on l’a vu, l’opinion de Vauréal, qui

  1. Le comte d’Argenson à Maillebois, 29 mars 1746. — (Ministère de la guerre.)