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C’est une situation qui n’est pas facile pour le gouvernement de Lisbonne, d’autant plus que les républicains, pourtant peu nombreux en Portugal, se mêlent à ces agitations en se servant des passions nationales contre la monarchie aussi bien que contre tout ce qui est britannique. De sorte que pour quelques territoires du Zambèze, pour le plaisir de la compagnie de colonisation africaine, l’Angleterre s’est exposée à créer des dangers intérieurs au Portugal et à s’aliéner à elle-même un ancien allié, à nuire à son propre commerce. Les Anglais sont persuadés que tout s’arrangera ; c’est possible. On sait comment les conflits commencent, ou ne sait pas toujours comment ils finissent !

Aux affaires et aux rapports des peuples viennent parfois se mêler de ces incidens, de ces deuils qui sont comme la mélancolie des choses du temps et ne laissent pas d’avoir leur signification. Presque au même instant ces jours derniers, ce mal qui court l’Europe depuis quelques semaines a fait deux victimes en Italie. La mort, une mort presque soudaine tant elle a été rapide, a enlevé un prince de la maison royale de Savoie et un ambassadeur de France à Rome. Cette coïncidence n’est point sans avoir ému l’opinion. Le prince qui vient d’être emporté à l’improviste, le duc d’Aoste, le second fils du Victor-Emmanuel, frère du roi Humbert, vivait depuis longtemps sans bruit, loin de la politique. Il avait été cependant à son heure mêlé à un drame de révolution et de guerre qui a changé le monde. Il n’avait pas eu de chance avec sa royauté en Espagne !

Si l’empire, en 1870, à l’occasion de la candidature du prince de Hohenzollern à la couronne espagnole, avait joué sa partie avec plus de sang-froid, il aurait laissé le prince allemand aller s’asseoir sur son trône branlant à Madrid : il était bien sûr d’être vengé avant peu par les Espagnols eux-mêmes. Cette royauté était promise d’avance à une misérable et courte fortune ! Par une combinaison étrange, ce qui aurait pu arriver à ce prince allemand, c’est l’histoire du prince italien Amédée de Savoie choisi à défaut du Hohenzollern, jeté par un destin ironique dans cette aventure. Un jour de ce cruel hiver de 1870, pendant que l’horrible guerre désolait encore la France, le prince Amédée traversait la Méditerranée pour aller aborder en Espagne, et à son débarquement la première nouvelle qu’il recevait, c’était que le général Prim qui lui avait donné la couronne avait péri la veille dans les rues de Madrid, victime d’un assassinat qui est resté toujours un mystère. Le nouveau roi entrait dans le règne sous d’assez sombres auspices, et malgré les ovations officielles, avant qu’il fût longtemps, il pouvait s’apercevoir qu’il ne serait pas roi pour son plaisir. En deux ans c’en était fait de cette royauté ! Ce n’est pas que celui qui a régné au-delà des Pyrénées sous le nom d’Amédée Ier ne fût digne par ses qualités de la couronne qui lui avait été offerte : c’était un prince courageux, —