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quatre et apparurent sur la terrasse. Leur chef y planta le drapeau argentin et fit assurer le pavillon par deux coups de feu. L’Hôtel central de la police, qui est proche, leur répondit. Les sergens de ville et les pompiers s’y étaient retranchés et avaient crénelé les maisons des alentours. Ils tiraillaient de là sur les postes civiques et détachaient des patrouilles du côté où ils n’étaient pas cernés.

J’ai eu sous les yeux, ou pour mieux dire sur la tête, pendant trois jours, les civiques campés sur la terrasse de ma maison. Il y avait parmi eux des docteurs, des étudians, des ouvriers. Ils étaient uniformément pleins d’entrain aussi bien que de prévenances pour les bourgeois dont ils avaient envahi le domicile. Supposant, un matin de vive fusillade, que notre domestique n’avait pu aller aux provisions, ils nous offrirent par gestes de nous envoyer de leur pain. Le chef des divers postes du quartier était, je l’ai su plus tard, un ancien officier français, M. de N…, qui précisément, à son arrivée en Amérique, il y a deux ans, m’avait été adressé par un ami. Il était alors imbu d’idées autoritaires qu’on regarde encore en France comme un des attributs de la distinction et qu’on s’habitue assez vite dans la Plata à considérer comme arriérées. Maintenant, il participait à une émeute. La révolte n’était pas seulement argentine, les résidens étrangers y prenaient une large part. Un médecin belge, qui offrit ses services à l’ambulance du Parc d’Artillerie, me racontait qu’il avait entendu, sur le front d’un bataillon de volontaires, un officier instructeur expliquer en français le maniement du remington. Un autre Français, M. de B.., a laissé un souvenir gai de son passage place Lavalle. Il était arrivé depuis deux ou trois jours, venant chercher fortune dans la Plata, sur la foi des agences d’émigration. Le commandant du vapeur qui l’avait amené, au moment de reprendre la mer, jugea prudent, pour passer à travers l’escadre, de se faire donner un sauf-conduit par les chefs de la révolution. Il se rend au parc, accompagné jusqu’à la porte par son passager. Obligé d’attendre une audience, il redescend sur la place, et le retrouve muni d’un fusil. — « Ma foi ! commandant, j’ai été zouave, je ne résiste pas à la tentation. Je cherchais une occupation, en voilà une ! — Le marin, une fois muni de son sauf-conduit, cherche notre homme pour en prendre congé. Il le découvre enfin, ravi. — Ça chauffe, ça chauffe, et l’avancement va bien dans ce pays-ci ! me voilà officier ! » On lui avait confié une mitrailleuse. Il se trouva que c’était un pointeur remarquable, il fit avec elle des prouesses.

J’ai parlé des ambulances. Du côté des révolutionnaires, dès la première minute, elles fonctionnèrent admirablement. Toute la faculté était avec les civiques. Un jeune médecin qui était en même