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des éclaireurs incomparables. Foucquet, comme Catherine de Médicis, avait son a escadron volant. » Quand Mazarin, pour piquer au jeu la cour d’Espagne, feignit de vouloir marier le jeune Louis XIV avec une princesse de Savoie et fit faire à la cour le voyage de Lyon, ce fut une nièce de Mme du Plessis-Bellière, Mlle de Trécesson, envoyée naguère à Turin comme demoiselle d’honneur auprès de la duchesse régente, qui renseigna Foucquet sur toutes les péripéties de cette comédie politique ; elle avait un chiffre pour correspondre avec sa tante et avec lui.

La Savoie jouée, Mazarin entama du côté de Madrid la partie sérieuse. En partant pour les Pyrénées, il passa vingt-quatre heures à Vaux, loua beaucoup le seigneur du lieu et se fit avancer par lui 150,000 livres sur ses gages. Quinze jours après, sur le récit de sa visite, ce furent le roi, la reine mère et Monsieur qui, de Fontainebleau, comme en voisins, dit M. Lair, vinrent admirer la merveille ; terrible honneur ! Cependant, de loin, Mazarin ne cessait pas de réclamer de l’argent, et de près, Colbert ne cessait ni de surveiller ni d’incriminer les actes du surintendant. Il mandait au cardinal « que les finances avoient bon besoin d’une chambre de justice. » C’était un thème qu’il se proposait de développer à loisir.

En effet, dans les derniers jours du mois de septembre 1659, il écrivit un long mémoire, disons le mot, un long réquisitoire. Dans les finances, tout était en désordre ; Herwarth, le contrôleur-général, ne pouvait plus s’y reconnaître. On favorisait « les gains épouvantables des gens d’affaires ; » on achetait de vieux billets de l’épargne en souffrance depuis quarante ans, on les achetait à trois ou quatre pour cent de leur prix nominal et on les faisait passer en remboursement pour la totalité de leur valeur primitive. Après les généralités, Colbert frappait son adversaire en pleine poitrine. « C’est, disait-il, une chose publique et connue de tout le monde que le surintendant a fait de grands établissemens, non-seulement pour lui, non-seulement pour ses frères, non-seulement pour tous ses parens et amis, non-seulement pour tous les commis qui l’ont approché, mais encore pour toutes les personnes de qualité du royaume et autres qu’il a voulu s’acquérir, soit pour se conserver, soit pour s’agrandir ; et beaucoup de personnes croient sçavoir que le sieur Delorme a fait pour plus de à millions de livres de gratifications, en argent ou revenus de pareille valeur, pendant dix-huit ou vingt mois de temps qu’il a été commis du surintendant. » Le moyen de punir ces crimes, ce serait d’établir une bonne chambre de justice et d’y mettre pour procureur-général Denis Talon. Il faut noter ici que ce Denis, fils d’Omer Talon et, comme lui, avocat-général au parlement de Paris, était encore plus