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devoir les diviser et qui a fini par une concentration plus énergique du parti pour une prochaine campagne électorale. Ce socialisme teuton, qui va toujours en grandissant et en s’étendant, pourrait promettre plus d’une difficulté à un gouvernement qui a la naïveté de croire qu’avec des rescrits et des démonstrations il peut désarmer des adversaires redoutables ou tout au moins rallier une partie de la population ouvrière. D’un autre côté, on ne voit pas mieux ce que l’empereur Guillaume II a gagné pour sa politique générale avec ses voyages multipliés. Il est allé partout, on le sait, sans laisser des traces bien vives de son passage. Après lui son chancelier, M. de Caprivi, a continué et continue ses excursions. Il a vu l’empereur François-Joseph, il a vu le comte Kalnoky ; il paraît être attendu ces jours prochains à Monza, où il doit voir le roi Humbert et M. Crispi. Il n’est pas facile de saisir la signification de ces déplacemens, si tant est qu’ils aient une signification. Ce qui semble assez clair, c’est que la triple alliance n’est pas pour le moment bien florissante, que les alliés ont leurs soucis intérieurs, que si l’Allemagne a ses socialistes, l’Autriche, l’Italie ont assez à faire avec leurs embarras. L’Autriche, pour sa part, est engagée dans une sorte de crise qui peut avoir son influence, non-seulement sur la paix des nationalités dans l’empire, mais sur l’existence même du cabinet du comte Taaffe, réduit aujourd’hui à se demander s’il aura une majorité à la prochaine session du Reichstag.

C’est toujours cette inextricable affaire du compromis tchèque qui traîne depuis près d’un an et qui semble moins que jamais près d’une solution. Peut-être, à la rigueur, le comte Taaffe, le négociateur de cette douteuse réconciliation entre Tchèques et Allemands, aurait-il pu se promettre une apparence de succès, en procédant avec résolution, en faisant accepter sur le moment son œuvre par la diète de Prague. Il a temporisé, il a laissé les mois s’écouler, il a ajourné tant qu’il l’a pu la réunion de la diète. Au lieu de s’apaiser, le conflit n’a fait que s’envenimer. Les Allemands, impatiens de reprendre l’ascendant à la faveur du traité de paix conclu l’hiver dernier à Vienne, mais non ratifié, ont recommencé à se défier et à s’irriter. Les jeunes Tchèques, un instant surpris et déconcertés, ont eu le temps d’agiter l’opinion, de soulever les passions contre un acte qu’ils ont représenté comme la violation ou l’abandon des droits historiques et nationaux de la Bohême. Les vieux Tchèques, qui avaient négocié le compromis par esprit de conciliation, dans l’intérêt de la paix, se sont vus désavoués, dédaignés par le sentiment populaire, presque sommés de donner leur décision ; ils se trouvent encore dans une position d’autant plus difficile que leur chef le plus éminent, M. Rieger, a vainement essayé récemment d’obtenir à, Vienne une dernière concession, l’emploi de la langue tchèque dans les tribunaux des circonscriptions où la population slave est en majorité. Aujourd’hui la diète vient de se réunir enfin à