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elles impliquent jugement ; on ne craint ni n’espère sans motifs, on prise ce qu’on aime. Elles ont toutefois une origine corporelle, un antécédent physique, intermédiaire entre l’âme et le monde extérieur, à savoir l’impression, qui, traduite en sensations, les fait communiquer avec leur objet, ou, traduite en besoins, leur en suggère du moins la recherche.

La définition de Pascal est donc très complète. Il distingue deux espèces contraires de passions : « Il y a des passions qui resserrent l’âme et la rendent immobile, et il y en a qui l’agrandissent et la font répandre au dehors. » L’homme qu’animent celles-ci s’oublie par attachement à ce qu’il aime. « L’on devient magnifique sans l’avoir jamais été. Un avaricieux même qui aime devient libéral et il ne se souvient pas d’avoir jamais eu une habitude opposée. » Ce n’est d’ailleurs pas toujours le besoin d’aimer qui, même en amour, nous met en campagne, ce peut être une ambitieuse présomption : « Nous avons une source d’amour-propre qui nous représente à nous-mêmes comme pouvant remplir plusieurs places au dehors ; c’est ce qui est cause que nous sommes bien aises d’être aimés. » Pascal range sans doute parmi les premières passions l’effroi stupéfiant, la défiance hésitante et, en général, toutes celles où l’égoïsme rappelle l’âme à elle-même et la met sur ses gardes. Les secondes, « les passions de feu, » correspondraient à l’amour, à la charité, à ce qu’Auguste Comte a nommé l’altruisme, et, en outre, à l’ambition dans le sens d’ardente aspiration vers tous les objets de l’activité humaine. Cette distinction est profonde, car elle repose sur la plus essentielle activité de l’âme, sur son double mouvement dans ses rapports avec le monde, mouvement d’expansion ou de retraite, d’exploration ou de recul.

Pascal a dit ailleurs : « L’homme n’est ni ange ni bête… » L’amour, par son origine, n’est pas platonique, « il se détermine autre part que dans la pensée. » Le sexe y règle les démarches : H Ce n’est point un effet de la coutume, c’est une obligation de la nature que les hommes fassent les avances pour gagner l’amitié des dames, » selon Montaigne rappelé par Pascal. En tant que passion, l’amour est « occasionné par le corps ; » mais il n’en est pas moins, au même titre de passion, un sentiment, et comme tel, tout psychique. C’est l’état de l’âme, l’affection purement morale que Pascal envisage dans l’amour et qui est pour lui l’amour humain, « la passion la plus convenable à l’homme, » être pensant. À ce point de vue restreint, « l’amour ne consiste que dans un attachement de pensée. » C’est-à-dire dans une pensée non pas seulement attentive à son objet, ce qui ne serait encore qu’intellectuel, mais attachée à lui, ce qui suppose un lien affectif. « L’homme seul