Page:Revue des Deux Mondes - 1889 - tome 95.djvu/602

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Ils sont venus ; leur attente n’a pas été déçue. Le prodigieux tour de force est accompli, la France a mené à bien sa tâche pacifique. Ni l’hostilité de ses ennemis ni les insinuations perfides de ses envieux n’ont pu faire échouer l’œuvre entreprise. Si les gouvernemens ont douté, les peuples ont cru ; si la date choisie entravait le bon vouloir des cabinets européens, pour qui cet anniversaire, aurore radieuse de la liberté, saluée à son apparition des unanimes applaudissemens d’un peuple entier, réveillait aussi les souvenirs de crimes sanglans et de conquêtes sans pareilles, elle apparaissait aux nations comme la date inoubliable d’une ère nouvelle, entachée comme toute chose humaine de violences et d’excès, mais ère de vie et de prospérité, dont les remords ne sont qu’à nous et les bienfaits à tous.

Ils ont pu venir, souverains et hommes d’État, nobles et bourgeois, industriels, commerçans et prolétaires, ils n’ont rien vu qui insulte leurs souvenirs ou déconcerte leurs espérances. Ils ont vu un peuple qui, après avoir, en un siècle, subi l’épreuve également redoutable de la fortune la plus étonnante et des revers les plus imprévus, vivant et debout, confiant dans l’avenir et le triomphe de l’éternelle justice, poursuit en paix son œuvre de civilisation et de progrès.

Il a trop vécu pour croire aux malheurs irréparables, aux défaites sans lendemain. La fortune inconstante ne lui a ménagé, dans le cours de sa longue existence, ni les élévations vertigineuses ni les épreuves douloureuses. Il sait qu’elle n’abandonne jamais les peuples qui ne s’abandonnent pas eux-mêmes, et, qu’à se rendre compte des fautes commises, on est en bonne voie de les réparer.

La France a conscience des siennes, et, de son mieux, les répare. A ceux qui l’accusent de menacer le repos de l’Europe, elle répond en élevant un palais aux arts de la paix, en conviant l’univers à dresser avec elle le bilan des richesses et des conquêtes scientifiques communes, à mesurer l’étape franchie en un siècle dans tous les domaines de l’intelligence et à se demander quels miracles ne réaliserait pas l’humanité le jour où, affranchie du pesant fardeau de la guerre, elle pourrait consacrer ses milliards et ses bras au bien-être des générations présentes et à venir.

Qu’on le veuille ou non, qu’on l’écoute ou se refuse à l’entendre, c’est là ce que dit cette grande Exposition : ces machines merveilleuses centuplant la puissance créatrice de l’homme, économes de son temps et de ses peines ; ces matières premières accumulées ; ces métaux assouplis et façonnés par son génie ; le temps et l’espace asservis à sa volonté. Les choses ont une voix ; rarement elles ont parlé plus haut, plus intelligiblement à tous, à chacun dans sa